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Une année de fromages

À la rencontre de deux fromageries combières pour cette quatrième étape de notre série sur la filière du lait.

Elles produisent et parfois, commercialisent aussi le lait transformé en fromages et autres spécialités. Les fromageries sont organisées en coopératives et doivent gérer un flux continu, le lait étant produit tout au long de l’année. À la rencontre de deux fromageries combières pour cette quatrième étape de notre série sur la filière du lait.

En août, la fromagerie Hauser du Lieu met les bouchées doubles. Comme chaque année à pareille époque, son équipe passe de sept à dix-huit et se consacre exclusivement à un fromage, le Vacherin Mont d’Or AOC. Les six à sept mille litres réceptionnés quotidiennement sont transformés dans ce but. En septembre, la Fête du Vacherin lance la saison de ce fromage à pâte molle typique de la Vallée de Joux et le village des Charbonnières accueille six fois plus de public que son nombre d’habitants. À noter que la production laitière elle-même d’une société de laiterie est assez régulière au long de l’année, avec un pic en juin et un creux à l’automne, que Patrick Hauser estime à 30%. 

Patrick Hauser a suivi les traces paternelles en fabriquant du Vacherin Mont d’Or.

Double casquette

C’est le seul produit saisonnier de la fromagerie Hauser. Dès la mi-janvier, en effet, le fameux fromage à pâte molle sera de moins en moins consommé. Patrick Hauser et les siens recommenceront alors à fabriquer leur autre produit phare, comme dans toute la région : le Gruyère. Et dès la mi-février, ce fromage à pâte dure sera le seul à sortir des cuves du Lieu, avec quelques spécialités représentant 5% de la production annuelle. Patrick Hauser fait ici figure d’exception en jouant sur les deux tableaux. Car il y a un monde de différences entre le Vacherin Mont d’Or et le Gruyère, lesquelles vont bien au-delà de la pâte et de la saveur. 

Sadika Softic, collaboratrice de la fromagerie Hauser depuis quinze ans, en train de retourner et de saler les Vacherins. L’opération se répète chaque jour.

Gruyère et Vacherin :  deux mondes

Le Gruyère est produit en lourdes meules tandis que le Vacherin se commercialise dans une variété de grandeurs, dans lesquelles les intrants, surtout le bois des sangles et des boîtes, jouent un rôle majeur. Le premier est affiné (maturé en cave, au prix d’un traitement quotidien) entre six et quinze mois, le second entre vingt et trente jours. Le Gruyère est remis à un affineur, chargé de le finaliser et de le commercialiser. La filière impose en effet cette segmentation ; aucun producteur de Gruyère ne le vend lui-même au client final. Le producteur de Vacherin, lui, fabrique, affine et commercialise. Tous les producteurs sont des indépendants. Enfin, les quantités annuelles du Gruyère sont figées, avec un quota assigné à chaque société laitière – ce fonctionnement, sous l’égide d’une interprofession, est en place depuis vingt-cinq ans cette année – tandis que pour le Vacherin Mont d’Or, la quantité est à bien plaire. Chaque producteur s’arrange pour en faire autant qu’il s’estime capable de vendre. « C’est un marché beaucoup plus nerveux, résume Patrick Hauser. Il implique beaucoup de relations avec les clients, de négociations, de logistique et d’administration et d’incertitude, aussi : tenez, nous avons commencé la semaine dernière et chaque jour, c’est une tonne de produite. À ce jour, j’en ai vendu une demie. Ce n’est presque pas le même métier, en somme. » 

« Est-ce que tu dors bien ? »

Et de citer l’anecdote d’un collègue qui a voulu se lancer lui aussi dans le Vacherin. « Est-ce que, jusqu’à présent, tu dormais bien ? » lui a-t-on demandé comme une boutade. Ici, le traumatisme collectif vécu dans les années 80 autour du Vacherin Mont d’Or a laissé des traces profondes, notamment dans les procédures de contrôle qui restent draconiennes. « En plus des prélèvements obligatoires, nous en effectuons nous-mêmes, indique Patrick Hauser. Sept cents analyses par saison et des résultats qui tombent tous les jours ! » En cohérence, le quinquagénaire fixe au printemps son moment préféré de l’année : « Quand la saison du Vacherin est terminée, on souffle un peu. » Un avantage, quand même, à produire les deux fromages : cela permet de gérer le surplus de lait. « L’on est amendés quand on produit trop de gruyère. »

Vendre, c’est un autre métier

Si Patrick Hauser ne tient pas de magasin (à part une parenthèse entre 1992 et 1997), Lucas et Yvan Limacher, ont fait le chemin inverse. À la tête de la Fromagerie des Landes depuis 2018, ce duo père-fils a relancé le point de vente à l’avant de la fromagerie, bien visible dans le contour du hameau du Solliat. Fromager de métier, ils n’avaient pour dire aucune expérience dans la gestion d’un magasin. «Arrivés sans expérience préalable de la vente, nous avons appris sur le tas, au fur et à mesure des rapports avec la clientèle, raconte Lucas Limacher. C’est vraiment un autre métier. J’ai tenu moi-même le magasin durant les trois premières années en plus de la fabrication le matin. Voulant élargir nos horaires d’ouverture, nous avons fait le choix d’engager deux vendeuses depuis maintenant deux ans. 

Le «Bleu de La Vallée» a une pâte fondante, sans le goût prononcé de ces produits «à pâte persillée» (leur appellation officielle) qui pourrait rebuter une partie de la clientèle. Son format est unique et les Limacher ont dû créer même les outils pour le fabriquer.

Sur les étals, on trouve leur produit phare, le Gruyère décliné en quatre affinages, mais aussi des pâtes mi-dures : huit sortes de raclette, le romandise, du sérac, un bleu « made in Vallée de Joux » créé l’an dernier, les tommes vaudoises, d’autres produits dérivés comme des yoghourts. Si ces spécialités ne constituent qu’une petite partie de la production et requièrent beaucoup de travail, elles permettent au jeune fromager de se renouveler et d’exprimer un peu de sa fibre créative.

Transformer un maximum de lait

« Nous autres fromagers transformons le maximum de lait possible pour le vendre en spécialités, au magasin, aux grossistes ou à l’exportation et qu’il soit ainsi payé à sa juste valeur, sinon, le lait en vrac, lui, est vendu pour de plus gros industriels mais payé nettement moins cher à nos producteurs », explique Lucas Limacher. Et d’encourager l’achat de produits locaux : « C’est une manière d’assurer que les producteurs soient rémunérés correctement, le soutien des consommateurs à leur activité fait vraiment une différence. » Saucissons, meringues et même un vin étiqueté «Fromagerie des Landes », fruit d’un accord avec un vigneron de Gilly, complètent l’assortiment.

Lucas Limacher. Prise de petit lait dans la cuve.

Trois fois plus de production à l’hiver

Les Limacher ne produisent pas de fromage saisonnier comme le vacherin Mont d’Or. En revanche, leurs ventes évoluent au gré des saisons et les facteurs qui influent sur la production se trouvent à la fois chez les producteurs de lait et chez les clients. « À l’été, nous traitons un tiers de la quantité hivernale, soit la période de septembre à début mai, explique Lucas Limacher. Une partie de nos sociétaires sont à l’alpage et soit produisent eux-mêmes le fromage, soit livrent alors d’autres laiteries. Ensuite, certains produits disponibles toute l’année se vendent mieux à certains moments. Il y a par exemple un gros coup de bourre avec les mélanges de raclette avant l’arrivée de l’hiver. Et ce mois d’août, nous avons explosé les records de fondue. C’est difficile à expliquer, peut-être était-ce dû au retour de la pluie. »

Musique d’avenir

La pérennité de ces produits de terroir, si appréciés soient-ils, n’est pas gagnée. Lucas Limacher se dit quasiment étranglé par des coûts de production qui ont pris dernièrement l’ascenseur: «Eau, électricité, fioul, matériaux, matières premières, je sais que tous les secteurs sont affectés, mais l’alimentation reste tout de même une priorité. On arrive à un stade où on ne pourra plus produire comme aujourd’hui.»» Quant à Patrick Hauser, c’est un souci de transmission qui l’inquiète. «Nous sommes à l’étroit dans nos locaux actuels et il nous faut une nouvelle fromagerie dans les trois à quatre ans. Nous avons un projet de construction du côté du cimetière et j’aimerais avoir le temps de mettre cette nouvelle structure sur les rails.»

La fromagerie des Landes est une fromagerie familiale, moderne et artisanale qui privilégie les matières premières suisses et les circuits courts.

Quelques chiffres

Laiterie Hauser / société de laiterie des Combes: production annuelle de 130 à
140 tonnes de Vacherin Mont d’Or, 117 tonnes de Gruyère et le reste, une quinzaine de tonnes de Cabochon, de crémeux et de raclette. Six producteurs répartis entre Le Pont et Le Lieu à l’année et deux alpages qui fromagent de leur côté à l’été. Produits disponibles dans les commerces de détail combiers: les Denner, la Villageoise et les épiceries du Pont et des Bioux, ainsi que deux magasins, à la Coop Ecublens et à la gare de Lausanne.

Fromagerie des Landes et ses fromagers Yvan et Lucas Limacher: Production annuelle de 260 tonnes de Gruyère par année pour 7’500 meules et
5 tonnes de spécialités à pâte mi-dure (raclette, fondue, sérac et Bleu de La Vallée). 13 producteurs sociétaires livrant par année un peu plus de 3 millions de litres de lait. Trois personnes pour la partie fromagerie, deux personnes pour la vente au magasin à la rue du Village, au Solliat, au-dessus du Sentier.