Crise énergétique : beaucoup de questions, peu de certitudes
La Société Industrielle et Commerciale a convoqué les entrepreneurs locaux au chevet de l’électricité, le 2 novembre.
La Société Industrielle et Commerciale a convoqué les entrepreneurs locaux au chevet de l’électricité, le 2 novembre 2022. Dans une ambiance moins détendue que d’habitude, une table ronde a mis aux prises trois spécialistes. La description de la situation ne fait pas débat, en revanche, le manque de perspectives inquiète. Et la balle est renvoyée au politique.
« Tempête parfaite », inspiré de l’anglais « Perfect storm», désigne une situation de crise où tous les facteurs se conjuguent pour maximiser sa puissance et son impact. C’est ainsi que Dominique Rochat d’Economiesuisse qualifie la nouvelle crise. Le matin même, le responsable en matière d’énergie et environnement de la faîtière économique suisse n’aurait pas parlé de cette manière. Mais voilà, l’annonce, dans la journée, de la retraite de Simonetta Sommaruga, a ajouté une couche supplémentaire à la problématique: le capitaine quittait le navire à un très mauvais moment. Du reste, l’absence de dernière minute de Roger Nordmann, orateur annoncé, puissant parlementaire socialiste et apôtre de l’énergie solaire, trouvait là son explication, du moins, selon le président de la SIC Bill Muirhead.
C’est le chantier politique des prochaines années
Dans le domaine énergétique, comparée à ses voisins, la Suisse a un seul problème: sa baisse de production hivernale. Mais ce n’est pas un petit problème, puisque depuis 2005, elle dépend de l’étranger pour passer l’hiver. Comparé à l’Autriche, à la géographie et aux enjeux semblables, la Suisse a pris un retard considérable. «Elle n’a rien depuis quinze, vingt ans», résume Dominique Rochat. Les prix bas de l’énergie ont rendu la recherche et le développement de nouvelles énergies pas du tout rentables (mais cela pourrait changer). Pays riche, la Suisse achète à l’étranger du courant produit à l’étranger par des énergies fossiles. Et dernièrement, elle s’est fait éjecter du système européen. Seul point positif à ce tableau : l’énergie a été remise en haut des priorités politiques.
Évolution lente mais positive
Problème: les verrous administratifs et idéologiques. «Si on a un permis de construire, on construit demain. Même les budgets sont là», déplore Laurent Reymondin, directeur de l’Association pour le développement des activités économiques de la Vallée de Joux (ADAEV). Dans le viseur des entrepreneurs présents au Sentier, l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) et le pouvoir donné par la loi aux associations de défense du paysage. Même l’hydraulique suisse est freiné par le volume inexploité qu’on relâche dans les cours d’eau pour le bien de la biodiversité, toujours selon Laurent Reymondin. Dominique Rochat cite de son côté le gisement existant sous le Léman, lequel promet vingt-cinq ans de gaz à l’échelle suisse. Pour le représentant d’Economiesuisse, le débat actuel sur ces questions est incohérent, détaché des réalités et même religieux: chacun défend sa croyance. Néanmoins, l’évolution serait positive – lente mais positive.
N’empêche, les « solutions » qui se profilent à l’horizon se résument comme ceci, le gâteau à se partager se réduit et il n’est pas prévu qu’il s’agrandisse, en tout cas pas dans l’immédiat. À noter encore qu’en matière énérgétique, les décisions se prennent à Berne. Même le canton n’est pas compétent en la matière.
Hiver à venir assuré mais après ?
D’après les dernières annonces, l’on devrait pouvoir passer l’hiver à venir. Lent au démarrage, le Conseil fédéral a mis au point plusieurs mesures: avertir la population, garder une partie de l’eau dans les retenues pour février, mettre en place des centrales de secours en gaz en Argovie ainsi qu’un filet de sécurité, du type RHT, pour les entreprises. Cette annonce a été reçue avec un mélange de soulagement et de prudence, notamment par les milieux économiques pas complètement rassurés. En effet, pour Alexandre Couvret, directeur de la SEVJ, l’on n’est pas à l’abri de facteurs perturbateurs: les aléas météorologiques (un hiver très froid, par exemple), la guerre en Ukraine, les ordonnances à venir du côté de Berne (le plan Ostral est prêt, mais l’on attend encore les ordonnances pour l’appliquer). De fait, nous sommes déjà en phase 1 du plan Ostral (information à la population) mais on devrait éviter le pire, le niveau 4, celui des délestages, en français courant: les coupures de courant. Ce plan d’approvisionnement en électricité en cas de crise prévoit que 25% d’économie sont possibles pour en arriver là, soit sur les trois premiers paliers.
Pour Dominique Rochat, la Confédération a joué son joker pour cet hiver. Et elle n’en a plus dans son jeu pour les suivants.
Solutions locales
La Vallée de Joux a ceci de spécifique que les deux tiers de l’électricité qui y sont consommés le sont par les entreprises. C’est la proportion inverse de la Suisse où la consommation est à deux tiers du côté des ménages. Par ailleurs, sur la décennie écoulée, la consommation locale a augmenté de plus de 10%. Un entrepreneur retraité présent estimait que des délestages de quatre heures, dans une entreprise, n’avaient pas de sens; autant donner leur journée aux employés.
À la délicate question de la marge de manœuvre qu’a la Société Électrique locale, qui n’est pas productrice mais distributrice, son directeur a mis en avant les prestations d’information à la population et de conseil et d’accompagnement des entreprises. Bien reçu du côté des entrepreneurs. L’un d’eux, sous-traitant horloger, déplorait par exemple le fait qu’il faille devenir boursicoteur sur le marché de l’énergie sans en avoir les compétences ni probablement le temps.
La SEVJ mise sur le solaire
Sur le plan de la production, le plus critique, au fond (avec un projet éolien lancé il y a bientôt quinze ans et qui gravit petit à petit les échelons juridiques), l’idée d’un parc solaire à la Vallée de Joux n’est pas réaliste. Alexandre Couvret, avec la SEVJ, mise sur les toits individuels et donc le solaire.
Dernier point, en guise de conclusion et toujours selon Alexandre Couvret: «Un stockage peut et doit être organisé, mais pas chacun dans son coin. Les solutions collectives ont toujours été une force de la région.»
Le rendez-vous « 6 à 8 des entrepreneurs » a été lancé en octobre 2019. Celui du 2 novembre était le premier de l’année 2022 et a rassemblé 54 participants, dans une ambiance un peu plus anxieuse que d’habitude.
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