La question de l’énergie vue par les entreprises combières
À La Vallée, si toutes les entreprises sont concernées par la transition énergétique à des degrés divers, ce ne sont pas les mêmes inquiétudes qui les animent.
Alors que la fédération n’a pas encore statué sur les mesures à prendre en terme d’économie d’énergie, les entreprises nationales se questionnent. À La Vallée, si toutes les entreprises sont concernées par la transition énergétique à des degrés divers, ce ne sont pas les mêmes inquiétudes qui les animent. Les unes se sont déjà préparées, les autres sont en cours d’adaptation et d’autres encore ont besoin d’accompagnement. Le VDJ 360 dresse un bilan de la situation actuelle en laissant la parole aux principaux concernés.
Bien comprendre le « marché régulé » et le « marché libre » de l’électricité.
Les petites entreprises et les ménages achètent leur électricité sur « le marché régulé », c’est-à-dire à des tarifs contrôlés et décidés administrativement par l’autorité de régulation.
Depuis 2009, les clients dont la consommation annuelle dépasse les 100’000 kWh/an peuvent choisir une offre directement sur « le marché libre ». À l’époque, cela devait « permettre aux entreprises de choisir une offre sur le marché concurrentiel et de bénéficier de prix bas », expliquait alors Romande Énergie. Une stratégie a priori sans risque jusqu’à ces dernières semaines où le marché libre ne propose plus d’offre décente aux gros consommateurs.
Interview de Pierre Dubois, directeur de Dubois Dépraz au Lieu
« La hausse de l’énergie n’est pas la plus grande part des coûts de nos produits ; notre souci, c’est plutôt les coûts salariaux qui l’accompagnent. »
Une hausse des prix de l’électricité est annoncée dès janvier 2023. Comment cette hausse vous impacte-t-elle concrètement ?
« Nous sommes extrêmement concernés en tant que gros consommateurs et donc soumis au marché libre de l’électricité. Nous avons acheté pendant 3 ans à un prix raisonnable qui correspondait au tarif de l’époque. Pour 2023, notre facture va être multipliée par 5 ou 6. »
Aviez-vous déjà mis en place des moyens de production d’énergie renouvelable ?
« La problématique de la hausse du prix de l’énergie a pris tout le monde par surprise. Aujourd’hui, nous travaillons sur une économie de la consommation ; mais nos machines sont énergivores et ne s’éteignent pas si facilement. En réalité, la réduction de consommation est utopique car l’après-COVID a fait augmenter les ventes de 15% ; il est pratiquement impossible de réduire la consommation lorsque l’entreprise est en phase de croissance. »
Alors, quelles sont vos stratégies pour faire face à ces grands changements ?
Nous avons fait appel à un expert en énergie pour un audit sur 3 mois, peut-être qu’une vision extérieure apportera une solution. De plus, nous allons équiper plusieurs toits de nos bâtiments industriels de panneaux solaires, dont celui des Charbonnières. En 2023, nous pouvons espérer réduire de 5 à 10% notre consommation facturée en produisant notre propre électricité. On ne fera pas de miracles, mais les petits ruisseaux font les grandes rivières.
Comment l’augmentation du tarif de l’énergie va-t-elle impacter le prix de vos produits ?
L’énergie n’est pas la plus grande part des coûts de nos produits, ce sont plutôt les coûts salariaux qui l’impactent. Nous sommes membres d’une convention collective de travail, et à cause de l’inflation induite par la crise énergétique, les salaires vont augmenter d’environ 3,5%. Il faut également ajouter la dévalorisation de l’Euro. Tout cela ensemble fait que les montres vont voir leurs prix augmenter de 10 à 15% à l’étranger. L’horlogerie est résiliente, mais on se prépare à un sérieux coup de frein alors que l’on était dans une phase de vente exceptionnelle.
Interview de Cédric Baudat, directeur de l’imprimerie Baudat à L’Orient
«Les coûts supplémentaires représentent l’équivalent d’une personne ou d’un leasing supplémentaire, et on ne peut pas répercuter la hausse des prix indéfiniment sur le client.»
Comment cette hausse impacte-t-elle l’imprimerie, concrètement ?
« Les coûts supplémentaires représentent l’équivalent d’une personne ou d’un leasing supplémentaire et on ne peut pas répercuter la hausse des prix indéfiniment sur le client. La variante catastrophique, c’est le jour où l’on aura plus les moyens de produire et qu’il va falloir éteindre des machines et licencier du personnel. L’électricité est un domaine sur lequel on ne s’inquiétait pas, et aujourd’hui, on se trouve impuissant et peut-être même un peu ignorant parfois. Les patrons de PME les voyaient comme des charges fixes, et ces 20 dernières années on ne s’en inquiétait pas. Aujourd’hui, on finit même par se demander s’il faudra produire en Chine pour consommer moins d’électricité ! »
Avez-vous des stratégies pour faire face à ces grands changements ?
« Couper les ordinateurs et changer les ampoules au niveau d’une entreprise, c’est un peu de l’épicerie. Modifier les horaires de travail pour faire marcher les machines à des heures où l’électricité est moins chère, pourrait être l’une des solutions, mais ces horaires de nuit ou de week-end augmenteraient le coût salarial.
On va construire une halle de production louée à une entreprise de sous-traitance horlogère. C’est l’occasion de poser des panneaux photovoltaïques sur les toits de l’imprimerie et sur le toit de la future halle pour auto-produire une partie de notre consommation.».
Interview d’Alexandre Burkhard, directeur de Mecalex, entreprise de sous-traitance pour l’horlogerie
« Il nous a fallu un plan d’urgence pour ne pas être dépendants des coupures intempestives de cet hiver. Nous sommes donc, à contre-cœur, en train d’acquérir un groupe électrogène diesel. Cela ne rentre pas dans notre politique d’utiliser ce type d’énergie, mais on ne peut pas se permettre de ne pas fournir nos clients. »
Le Plan de Guerre des « mauvais élèves »
« Nous sommes un peu les « mauvais élèves » des mesures de l’Ostral car nous n’avons pas pu diminuer notre consommation comme il nous a été demandé il y a environ une année. Nous ne sommes pas propriétaires des murs donc les panneaux solaires, qui de toute façon ne réduisaient que de 10% notre consommation, ne pouvaient pas résoudre le problème. Mecalex est une entreprise de sous-traitance, ouverte il y a 8 ans, en pleine croissance, et on ne peut pas se permettre de ne pas fournir nos clients.
Nous sommes donc, à contre-cœur, en train d’acquérir un groupe électrogène diesel. C’est un peu le plan de guerre en attendant de trouver une solution. L’état va prendre des mesures pour aider les entreprises qui vont être bloquées car il paraît impensable que cela puisse rester comme ça. »
Un Pool d’achat pour une meilleure négociation des prix
« Le problème est l’augmentation du prix de l’électricité, nous passons d’environ 10 centimes à 1 franc le kilowatt/heure. L’idée serait de créer un regroupement d’entreprises régionales pour négocier un prix raisonnable, ensemble. C’est ce que j’attendrai de la discussion du 2/11 : se réunir et trouver une solution commune. »
Interview de Christophe Leuenberger, directeur de Decoltime entreprise de décolletage et taillage
« Je ne suis pas inquiet à long terme car de belles innovations vont certainement voir le jour. La situation brutale dans laquelle nous sommes plongés aura certainement permis d’accélérer la transition énergétique ».
Quelle est votre situation actuelle ?
« Depuis 3 ans, nous produisons la moitié de l’énergie que l’on consomme grâce aux panneaux solaires. L’été en l’absence de stockage, nous devons revendre le surplus dans le réseau. L’idéal serait de consommer entièrement ce que nous produisons ».
Comment Decoltime est-il impacté par les changements énergétiques ?
« 1) Le marché libre n’existe plus.
Il y a quelques années, la confédération donnait la possibilité à certaines PME de quitter le marché régulé de l’électricité pour passer au marché libre, sans retour possible. C’est plus de 30’000 entreprises suisses qui ont sauté le pas sans que personne ne puisse imaginer une telle montée des prix. Aujourd’hui, dans le marché libre, deux fournisseurs d’électricité sur trois ne font même plus d’offre. Les entreprises ont donc le couteau sous la gorge lorsqu’un seul fournisseur fait une proposition et que cette proposition est à un prix inabordable.
2) L’idéal serait de pouvoir stocker sa propre électricité
Depuis 3 ans, j’achète l’électricité du marché libre par le biais de la SEVJ. Le problème est qu’avec la hausse des prix, non seulement je l’achèterai désormais 60 centimes, mais que le surplus produit par mes panneaux, sera vendu à 21 centimes, dans le marché régulé ! Il faudrait la revendre sur le marché libre à un meilleur prix, ou fournir notre surplus à une autre entreprise de La Vallée aussi sur le marché libre, ou tout simplement, de stocker notre propre électricité ».
Avez-vous déjà mis en place des solutions ?
« Un webinaire est prévu avec le centre patronal, le GIM.swiss à Paudex, pour échanger et tenter de trouver des solutions en commun.
De plus, on ne peut pas se préparer aux coupures intempestives d’électricité. Nous avons donc acheté une génératrice au mazout, pas idéal écologiquement, mais on n’a pas de meilleure solution. Toutefois, comme le prix du mazout doit augmenter également on a l’impression d’être encerclé de tout côté. Si l’on doit couper l’électricité et que la production s’arrête, il faut alors penser aux salaires, aux familles qui sont derrière.
En attendant, je m’intéresse aux possibilités de transformation du surplus de l’énergie solaire en hydrogène. Solution stockable et propre ».
Cette idée de couplage n’est pas utopique et est testée, par exemple, depuis 2014, en Corse, avec le projet Myrte.
Les entreprises ne sont pas impactées de la même façon mais ont ce point en commun de se regrouper, de chercher et de s’intéresser à de nouvelles techniques pour obtenir des solutions pérennes et économiques. La question sur toutes les lèvres est : Quelle production d’énergie pour l’avenir ? Découvrez quelques pistes de réflexion et des idées des spécialistes en la matière la semaine prochaine.
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