Catégories
Combiers La filière du lait News Thème du mois

Une journée de découverte du Gruyère d’alpage

Deux chalets se font face, de part et d’autre de la combe, l’«Alpage» et la «Sèche», appartenant au même domaine de 200 hectares de pâturage et de pâturage boisé. Amodié depuis 1949 à la famille Pittet de Cottens, l’alpage produit chaque année treize tonnes d’un gruyère d’alpage AOP primé en 2016 aux Swiss Cheese Awards.

La Combe des Amburnex est réputée pour ses records de température négatifs. Ce vallon féerique et sauvage, situé en-dessous du Marchairuz, est en hiver le royaume des fondeurs et des amateurs de raquettes et en été, celui des randonneurs et des troupeaux en estivage. Deux chalets se font face, de part et d’autre de la combe, l’«Alpage» et la «Sèche», appartenant au même domaine de 200 hectares de pâturage et de pâturage boisé. Amodié depuis 1949 à la famille Pittet de Cottens, l’alpage produit chaque année treize tonnes d’un gruyère d’alpage AOP primé en 2016 aux Swiss Cheese Awards.

La famille Pittet s’est mobilisée pour accueillir cent vingt convives à l’alpage des Amburnex. L’extension de son activité vers l’accueil touristique, dans le cadre d’un plan de développement régional, est en marche. Premier volet de notre série dédiée à la filière du lait et qui nous accompagnera jusqu’à la Fête du Vacherin.

Nombre de visiteurs de l’extérieur

Le 23 juillet, c’est le branle-bas de combat autour du chalet, puisque dès onze heures, plus d’une centaine de convives arriveront pour une journée portes ouvertes unique dans l’année. Toute la famille, enfants, cousins et autres beaux-frères, se sont mobilisés pour installer tables et tentes, préparer les repas et servir les convives. Jusqu’en milieu d’après-midi, les visiteurs dégustent la fondue du producteur, à quelques mètres de la salle de traite flambant neuve et surplombant les prés où paissent les vaches. Parmi eux, des connaissances de la famille Pittet et nombre de visiteurs extérieurs. Sur les 150 convives, un quart a réservé (ou même gagné) sa journée en ligne, grâce notamment à un travail de communication assuré par le label de promotion Vaud+, une émanation du Département de l’économie vaudoise.

Trois Américaines de Pennsylvanie s’extasient du cadre. C’est la Suisse de carte postale qu’elles voulaient voir. «C’est la pièce de résistance de notre séjour en Suisse. Genève ne nous a pas dépaysées, c’est une ville internationale. Ici, c’est un havre de paix, à taille humaine.»

La fanfare des Pernetos a animé la journée.

Faire connaître notre métier

Outre la fête, la vente et la promotion de l’estivage et de ce gruyère fait à l’ancienne est bien au cœur de cette journée. «C’est important pour nous de faire connaître notre métier notamment aux citadins. Sur place, les gens se rendent bien mieux compte de tous les efforts nécessaires et de tous les paramètres à remplir pour confectionner ce gruyère d’alpage», déclare Mireille Pittet. Les sets de table réalisés pour la journée détaillent ainsi les huit étapes de la fabrication du précieux fromage. Le fromage consommé ce jour-là a été produit en 2021 (on compte au moins cinq mois de la fabrication à la bouche). Et pour des raisons d’hygiène, la cave refroidie au prix de grands efforts doit rester fermée.

Mireille et Jean-Claude Pittet ont repris l’exploitation de l’alpage en 1989.

Local d’accueil en construction

En revanche, Jean-Claude et Mireille Pittet se réjouissent de voir leur alpage, qu’ils gèrent avec leur fils Simon, bientôt doté d’une salle de fête et de vente. Vingt places assises et des vitrines frigorifiques permettront d’accueillir de plus petits groupes, à la demande et d’expliquer alors en privé le fonctionnement de leur montagne. Avec le couple de patrons, le fromager, un vacher et un civiliste, l’équipe compte cinq personnes.

Cette adjonction, à laquelle les amodiataires songeaient déjà depuis quinze ans, est rendue possible par un Projet de Développement Régional Agricole lancé l’an dernier. Financé par la Confédération, le Canton, la commune de Lausanne, propriétaire de l’alpage et les acteurs eux-mêmes, ce projet baptisé «Harmonie d’alpage» aide les agriculteurs de trois régions, dont sept alpages à la Vallée de Joux, à valoriser leurs produits, à s’entraider et à développer des prestations agrotouristiques. C’est un signe de plus de l’importance du terroir et de son potentiel touristique aux yeux des autorités.

Cyril Martin, un des membres de la famille venu prêter main forte à l’accueil des convives.

Un travail comme à l’ancienne

C’est la deuxième saison seulement que le fromager Benjamin Liengme passe sur l’alpage des Amburnex, à 1324 mètres d’altitude. Son travail en quelques traits.

La production du Gruyère d’alpage AOP est journalière et saisonnière. Cette année, les vaches sont arrivées le 31 mai seulement, après trois semaines dédiées aux préparatifs sur l’alpage, où la neige finissait de fondre. 120 bêtes, vaches allaitantes et génisses, sont montées depuis Cottens en camion, mais point de veaux. La faute au manque d’herbe, lui-même dû à la canicule, ainsi qu’à la crainte du loup. C’est un facteur qui a pris une importance majeure en deux ans seulement. Les amodiataires des crêtes du Jura et du Risoud reçoivent chaque jour des messages de leurs collègues relatant les derniers incidents, attaques et effarouchements du bétail.

Plus la saison avance, moins l’on produit

En début de saison, secondé par le patron, le fromager de vingt-deux ans, produisait six meules de trente kilos par jour. En milieu de saison, c’est-à-dire en juillet, quatre et en fin de saison, plus que deux. Le bétail laitier redescend début septembre. La saison est courte. Quant au Gruyère d’alpage lui-même, ce fromage se distingue des autres par son côté floral. «Le goût dépend de ce que mange la vache. D’un endroit à un autre, cela change mais également sur une même prairie au long de la saison, suivant les fleurs qu’elles trouvent. J’ajouterai pour ma part que le plaisir que le fromager ressent à faire son travail influe aussi sur le produit final», détaille Benjamin Liengme. L’alpage produit également un peu de raclette, de sérac et du beurre.

Une fois qu’il a sorti son fromage du moule, Benjamin Liengme le place dans un bain de sel pendant vingt-quatre heures. Cela permet de maintenir sa forme et de lui donner une partie de son goût.

Feu de bois et toiles obligatoires

Le réveil, pour toute l’équipe, c’est à trois heures trente du matin. Et selon un rituel immuable, la journée commence par allumer un feu de bois dans la chaudière à vapeur, lequel servira à chauffer la grande cuve de cuivre et le grain (à 57°). Le lait trait le matin rejoint celui de la veille au soir dans la cuve. Une fois caillé, coupé en petits morceaux et serré dans un linge, le fromage est mis en moule et pressé avant d’être mis en bain de sel. Ensuite, la meule sera encavée et frottée et retournée chaque jour, c’est là qu’elle développera sa croûte. Tout le processus est réglé par un cahier des charges. «On utilise moins de machine à l’alpage et certes, c’est plus fatigant. Mais c’est un mal pour un bien: le bonheur d’être à la montagne et la fierté d’avoir fait le travail soi-même à la main compense bien», conclut Benjamin Liengme.