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La transmission d'entreprise News Non classé Thème du mois

D’un Cotting à l’autre

Premier épisode de notre minisérie de l’été.

La transmission est une étape décisive dans la vie d’une société. De nombreuses conférences et formations sont proposées pour bien la gérer. Avec son tissu de PME familiales, la Vallée de Joux est un terrain d’étude idéal, où chaque année ou presque, une société locale passe d’un père à son fils. Notre minisérie de l’été 2023.

C’est un sujet émotionnel pour Patrick Cotting. Évoquer la transmission de son entreprise de sanitaire et de chauffage ramène le solide syndic du Lieu, franc et droit dans ses bottes, à un point faible, peut-être : « C’est un processus entamé il y a cinq ans et pas complètement fini. Je me sens détaché des affaires, mais ce qui reste, c’est l’inquiétude que Thoma n’aille pas bien. Et cela n’a rien à voir avec le métier en lui-même!  »

Est-ce qu’on quitte vraiment, c’est-à-dire définitivement, une entreprise qu’on a fondée jadis ?
De fait, venu rencontrer le fils pour évoquer cette remise effective depuis 2020, nous tombons directement sur… le père, au milieu de l’atelier et de ses rangées de tubes et de pièces diverses. Il faut dire qu’il vit dans le même bâtiment… « Pour résumer », reprend Patrick Cotting, « je vis aujourd’hui de grands moments de bonheur à voir mon fils bosser et d’autres, beaucoup plus difficiles, quand il est dans le dur. »

Quarante ans d’histoire

La raison sociale «Patrick Cotting SA» a été fondée en 1983. Patrick avait alors vingt-trois ans. Il a monté petit à petit avec son épouse Susanna, disparue il y a deux ans, une jolie affaire qui emploie aujourd’hui neuf personnes. Leur fils Thoma a grandi dans l’entreprise mais son avenir n’était pas tout tracé, loin de là! Une scolarité moyenne, un examen d’aptitude au métier médiocre ne laissaient pas présager qu’il suivrait les traces paternelles.

Et pourtant, dix ans plus tard, Thoma Cotting reprenait l’entreprise. Entre-deux, ce dernier a acquis le double CFC, sanitaire puis chauffage dans une autre entreprise de La Vallée, puis croché avec les études pour obtenir successivement brevet et maîtrise fédérale.
C’est la santé défaillante de la mère de famille qui a précipité les choses.

Timing

Patrick Cotting s’était fixé le but d’arrêter de travailler à cinquante ans (!). Mais il le reconnaît, c’était illusoire.

L’idée d’une transmission est devenue plus concrète lorsque Thoma a terminé son brevet fédéral et qu’il a dû, simultanément, reprendre petit à petit la gestion administrative de l’entreprise, assumée jusque-là par sa mère. « Le fait de reprendre l’entreprise a toujours été dans ma tête, depuis que j’ai commencé ce métier. Mais je ne suis pas arrivé comme le maître des lieux. Certains de mes ouvriers m’ont vu naître, pour dire!  »

Et comment c’est, de travailler avec son père? Thoma doit réfléchir un peu. «Il y a des jours où c’était mon patron et maintenant, c’est moi qui suis le patron. Il y a d’autres jours où la relation familiale primait. Et il y a eu des jours compliqués, explosifs. Nous avons dû mettre au clair à quel niveau nous nous situions.»

Là où le métier a changé

Les deux Cotting le disent: le métier lui-même a peu changé, éventuellement peut-être dans la simplification et le recul du travail manuel. Patrick Cotting se rappelle avoir fileté à la main, des gestes que son fils ne pratique plus. La réelle évolution tient à l’informatisation. Facturation et devis se font avec un logiciel dédié, les pièces se commandent sur un eShop, le suivi des chantiers génère un ribambelle de courriels et surtout, tout va plus vite. « De ce point de vue, l’arrêt est pratiquement obligatoire pour moi. Je ne pourrais plus diriger l’entreprise avec mes compétences en informatique, je n’ai plus l’énergie de me remettre à niveau, » analyse Patrick. « C’est au niveau cérébral que le métier a changé; il y a trop de contraintes. Je pense que c’est la même chose dans tous le métiers du bâtiment. »

Recommandations

Pour finir, les deux chauffagistes ont-ils des conseils à prodiguer dans le domaine de la remise d’entreprise? En chœur, ils recommandent de s’y prendre à l’avance; le senior pense même qu’il faut anticiper de dix ans.

Autre conseil de sa part: « J’en ai discuté avec d’anciens entrepreneurs comme moi et nous nous disions qu’il est plus facile de revendre son affaire hors de la famille, sans plus d’attache émotionnelle. D’autres m’ont félicité d’avoir réussi à transmettre, me déclarant que j’étais tranquille, désormais, or ce n’est pas du tout ce que je vis. Je me turlupine en me demandant si mon fils gère bien toute cette pression, si je l’ai suffisamment bien préparé à ses responsabilités. C’est dans les tripes, que voulez-vous! Et j’essaie de le libérer le plus possible de cette mauvaise pression en lui disant qu’il a le droit à l’erreur. »

Du côté du junior, aucun discours sur la nécessité d’être à la hauteur, afin de perpétuer une tradition familiale. En revanche, un discours d’entrepreneur lambda: « Pour les copains de mon âge qui pourraient être appelés à reprendre, il ne faut pas voir que le côté “chouette”, celui de se dire qu’on va diriger une entreprise. Il faut être prêt à aligner les heures, à y passer des soirs et des week-ends » confie le trentenaire.

Trop heureux dans cette transmission réussie qui se conclut tranquillement, Thoma n’a pas encore pensé une seule fois au jour où lui-même devra passer la main.


La principale qualité de Thoma ?

La ténacité. Il n’était pas prédisposé à ce métier, mais il a su s’accrocher (d’après son père).

La principale qualité de Patrick ?

Sa droiture. Il ne dit pas une chose devant toi et une autre dans ton dos. Une deuxième? J’ose (rires)? Il est perfectionniste. Je le jalouse un peu.