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Ils continuent d’exposer à l’heure numérique et voici pourquoi

Quelle place reste-t-il pour le commerce de proximité? Quelques exemples du récent Comptoir.

Frédéric Borloz le relevait lors de l’inauguration officielle du Comptoir de La Vallée : ces manifestations sont nombreuses dans le canton et elles se portent bien. Cela peut paraître paradoxal à l’heure où les petits (et moyens) commerçants qui exposent lors de telles foires luttent pour survivre. L’ennemi est connu: le commerce en ligne. Les modes de consommation ont évolué et tout le monde doit s’habiter aux nouvelles réalités, en clair: avoir un site internet, au moins un site vitrine et si possible, également commercial.

Opérer la distinction

Première distinction, le Comptoir de La Vallée rassemble deux catégories différentes d’exposants : les commerçants et les artisans. Représentant des seconds, Gilles Berney est fidèle au Comptoir avec l’entreprise paternelle Etienne Berney, mais un an sur deux seulement : « Cela suffit pour montrer nos réalisations et répondre à des questions principalement sur des projets à long terme. De toute façon, dans notre domaine, nous ne faisons jamais d’offres sans rencontrer le client et avoir visité l’objet. » Logiquement, le ferblantier couvreur du Brassus n’a jamais cherché à faire un bilan commercial de sa présence au Comptoir, préférant relever « le plaisir de rencontrer plein de monde, client ou pas, dans une ambiance détendue. »

Ce sont les réparations qui sauvent

Autre artisan coutumier de la foire, le garagiste moto Daniel Peter. Ce dernier est bien placé pour commenter l’évolution du Comptoir sur la durée: «Mon père a toujours aimé cette manifestation, en partie parce que nous sommes situés aux Bioux et qu’il est bon de se montrer au Sentier (rires) et j’ai suivi son exemple. Il y a eu des années extraordinaires, commercialement parlant, mais c’était

il y a une quinzaine d’années.» Il continue d’exposer, pourtant et pour le quinquagénaire, il faut envisager cela comme un investissement à long terme.« C’est de la représentation. Plus d’une fois, des clients sont venus plus tard dans l’année me demander tel article qu’ils avaient noté dans l’assortiment du Comptoir et dont nous avions parlé ». Mais la concurrence est rude, convient-il. Ses propres filles, adolescentes et jeunes adultes, ont le réflexe d’aller en ligne, à l’heure de faire leurs achats, au moins pour se renseigner. Que lui reste-t-il, alors ? « Les produits plus spécifiques, qu’on trouve difficilement en ligne ou dans la grande distribution. Et notre force, surtout c’est la réparation. J’ai une camionnette et je vais chercher les cycles, tronçonneuses et autres tondeuses chez les clients.»

La santé, un domaine à part

Elle était présente à côté de la cordonnerie Mouquin, avec laquelle elle a noué un partenariat depuis début 2022: l’orthopédiste Céline Baud. Son domaine, la santé, est protégé du commerce en ligne. « Une collègue a essayé il y a quelques années de lancer une plateforme digitale. La clientèle pouvait commander de quoi prendre leurs empreintes de pied pour les supports plantaires et renvoyer le tout par poste. Ça n’a pas pris et c’est une exception. Même le fait de me décrire leur problématique, avec un questionnaire, ne suffit pas. Je dois poser des questions à mes clients. Le contact personnel est nécessaire dès qu’on traite avec la santé.» Sa présence au Comptoir – et pour la première fois – lui a permis d’effectuer, sans l’avoir forcément, un suivi de clientèle, des visiteurs qui sont tombés sur elle : « Ah, vous êtes là ! » – « Alors, ces semelles, vous marchez mieux ? »

Et le bouche-à-oreille a aussi fonctionné. Comme Céline Baud n’est présente au Sentier qu’un seul jour par semaine, des personnes ont profité de sa présence à la patinoire du Sentier pour venir la trouver sans rendez-vous.

On a la clientèle « entrepreneurs » sous la main

Stand original sinon atypique, celui de « Swiss Classic Train ». Portée par une association, cette offre de train de l’époque au départ de Vallorbe, avec des wagons anciens et une locomotive à vapeur de 1945, a connu son voyage inaugural en juin 2007.Sa présence au Comptoir de La Vallée répondait à une double motivation : la recherche de visibilité, bien sûr, mais surtout

afin de se démarquer de l’autre offre purement locale, la Compagnie du Train à Vapeur de la Vallée de Joux Société Coopérative, créée en 1985. « J’ai beau en parler à tort et à travers, car je suis passionné, explique l’ancien chef de gare Patrick Décoppet, qui a toujours vécu à La Vallée, les Combiers font l’amalgame. Nous avions donc besoin de clarifier. » Autre intérêt de Patrick Décoppet et de son acolyte Jean Flury: la présence sur place des entreprises de La Vallée et de leurs représentants, officiellement ou en qualité de simples visiteurs : « Nous avons des offres pour les entreprises, dont celles-ci sont friandes pour leur personnel. On peut en effet privatiser une ou plusieurs voitures pour une sortie, un anniversaire, un séminaire, etc. »

« Mon modèle, c’est la proximité »

Les commerçants qui exposent au Sentier sont, eux, davantage sous une pression de rentabilité. Les deux nouveaux que nous avons interrogés tirent, déjà, un bilan positif de leur présence et veulent revenir. Pour la petite histoire, les deux étaient déjà présents à la foire du Valais en octobre dernier, à proximité directe du stand des produits combiers.

Mais surtout, leur modèle commercial est basé sur la proximité. Yannick Widmer, distillateur aux Ponts-de-Martel qui s’est lancé en 2019, le dit clairement : « Mon but est de me créer une clientèle privée, c’est la raison pour laquelle je fais autant de comptoirs. Dans un deuxième temps, j’ambitionne de placer mes produits dans les épiceries, restaurants, bars, ce que j’ai déjà fait autour de moi dans les montagnes neuchâteloises. » La digitalisation, Yannick Widmer ne s’en préoccupe pas vraiment. « Je ne vends pas mes liqueurs en ligne. Eventuellement quand mes clients m’en commandent sur le site, mais ils ont tous ou presque déjà dégusté. » Le distillateur a tellement apprécié l’accueil des Combiers, où il n’a pas de concurrence locale sinon dans la Gentiane et le whisky, qu’il espère revenir l’an prochain et étendre son stand.

«Mieux derrière un comptoir qu’un clavier»

Le Lausannois d’adoption César Bazin ne dit pas autre chose. Avec ses «Délices de Provence», cet épicier fin ne jure que par la dégustation. « je marche par la proximité, et en plus, d’année en année, j’acquiers une clientèle fidèle. Je fais ça par passion. Voyez, j’achète des pots, je prospecte le bon produit dans toute la Provence, que du naturel, artisanal, super bon et ça me fait plaisir de faire goûter à d’autres ce que je trouve, de voir la réaction des gens.»

Revers de la médaille, ses produits ne sont pas donnés, mais c’est aussi ça, la proximité. Il faut relever que César Bazin a fait le chemin inverse par rapport à beaucoup, en prenant ses distances avec la digitalisation: «Au départ, je ne pensais pas me retrouver un jour sur les marchés. J’ai commencé à la base dans l’idée d’une épicerie fine en ligne uniquement, mais je me suis vite rendu compte que pour justifier de la qualité et donc du prix des produits, il fallait que je passe par la dégustation. J’ai été amené malgré moi dans les foires et sur les marchés.

Et puis là, je me suis rendu compte que j’aimais ça. Bien sûr, que si je passais ma vie en ligne, à faire du mailing, référencement, de la pub sur Facebook, peut-être que je pourrais avoir un chiffre d’affaires plus grand que tous mes marchés confondus, mais je préfère passer ma vie derrière un comptoir, à faire goûter des bons pots, que derrière un clavier. Ce que je fais me rappelait mon enfance, à suivre ma grand-mère dans sa tournée chez le fromager, puis le charcutier, puis le laitier, etc. Sur mon stand, je fais le show, la pièce de théâtre.»

Olivier Golay et sa femme, fidèles au Comptoir sans interruption depuis la 1re édition

Commerce en ligne et proximité : une complémentarité

Le Comptoir de La Vallée montre que la digitalisation du processus d’achat n’est pas totale. La proximité, voire l’hyperproximité, se défend plutôt bien, se recroqueville parfois sur certaines niches et reste indispensable dans certains cas. Après tout, être présent en ligne est banal et ne permet plus de « se démarquer de la concurrence » au jour où tout le monde a son site. L’avenir paraît plutôt à la complémentarité. Et il n’y a pas plus « viral » que le bouche-à-oreille et soigner les relations, c’est peut-être aussi la meilleure manière de faire des affaires.