Un centre pour assurer sa relève et pérenniser ses métiers
La Vallée de Joux compte plusieurs centres de formation aux métiers de l’horlogerie gérés par une manufacture. Parmi ceux-ci, Blancpain, Breguet et CHH-Microtechnique ont choisi de regrouper leurs apprentis
Au début, il n’y avait qu’un métier : l’horlogerie. La micromécanique a été ajoutée, suscitant une importante extension du centre en 2014 et, plus récemment, des formations de qualiticiens et d’électroplastes.
Deux jeunes sont absorbés côte à côte sur des composants horlogers, sièges abaissés et plan de travail à hauteur de leurs épaules. Ils effectuent un test de deux jours, pratique et théorique, préalable à un éventuel engagement comme apprenti.
Un peu plus loin, une horlogère de troisième année effectue un stage depuis une autre marque appartenant au Swatch Group, ce dernier favorisant les échanges entre ses différentes entités et marques. «Cela fait une année que je travaille beaucoup sur des mouvements à quartz, un peu moins sur des mouvements mécaniques…» observe-t-elle. «Je revisite donc un peu mes bases. C’est une remise à plat, en plus de découvrir une nouvelle région, de nouvelles personnes, de nouvelles manières de travailler», détaille l’apprentie bernoise.
Trois entreprises ont regroupé leurs apprentis
L’ambiance est feutrée, typique d’un atelier d’horlogerie, mais l’on est ici au cœur du village du Sentier dans un centre de formation, situé au 1er étage d’un immeuble locatif. Deux marques combières de l’horlogerie haut-de-gamme, Breguet et Blancpain, y ont réuni leurs apprentis, en formation duale. Ils ne sont pas loin d’une vingtaine en formation d’horloger dans ces murs. Une troisième entreprise de Swatch Group, CHH-Microtechnique, qui fournit des composants des mouvements mécaniques aux deux premières, ainsi qu’à d’autres clients, est également partie prenante de ce centre de formation.
Entre eux, ces futurs horlogers savent tous avec laquelle des deux marques ils ont signé leur contrat et il leur arrive de se chambrer à ce sujet. Mais ce n’est pas une discussion quotidienne. L’on est d’abord étudiant de première, deuxième ou troisième année et c’est ainsi que les traitent leurs formateurs.
Une formatrice venue de l’interne
Margaux Ulrich a terminé ici même son apprentissage en 2010 et a ensuite travaillé en production chez Blancpain pendant cinq ans. Quand, à l’interne, une opportunité s’est présentée au service de formation de son employeur, elle a posé sa candidature. Ce qu’elle préfère dans son métier de formatrice, c’est le lien avec les apprentis. «On les accueille ici très jeunes et on les voit prendre leur envol sur trois ans. Mais cela ne s’arrête pas là. On les voit ensuite évoluer au sein de nos entreprises ou continuer les études et l’on a assez régulièrement des nouvelles des “anciens”.» Trois ans à se côtoyer au quotidien, cela laisse des traces.
L’arrivée des micromécaniciens
Changement d’ambiance, un peu plus loin dans le village, avec l’atelier de micromécanique. 150 mètres carrés, le bruit des machines et l’odeur d’huile de coupe, on est dans un autre univers. Presque sous les fenêtres de la manufacture Breguet, séparé par une rivière, celui-ci a ouvert en 2014, pour accommoder la demande croissante en micromécaniciens. Leur formation dure une année de plus que celle des horlogers de production; les deux premières années sont dédiées aux bases de la mécanique, limage, tournage et autre fraisage et s’effectuent au centre de formation et les deux dernières années en entreprise, avec une spécialisation: décolletage, étampe et CNC. Le centre de formation Blancpain, Breguet et CHH offre les trois filières. Dans ces murs, à nouveau deux formateurs.
Un apprenti qualiticien en microtechnique, formation ouverte il y a tout juste deux ans, travaille sur une gamme opératoire (une marche à suivre pour un usinage) qu’il soumet à son formateur Lionel Savoy.
Chacun sa place de travail
«Chaque apprenti dispose de son tour 102 conventionnel et son établi à côté. C’est sa place de travail, il en prend soin pendant deux ans», explique ce dernier. Quelques places supplémentaires sont prévues pour les horlogers de première année qui viendront effectuer un stage de deux mois. Quelques machines plus compliquées (une perceuse-taraudeuse, par exemple), un local de théorie, un autre de nettoyage et d’affûtage et un poste informatique complètent l’assortiment. «Avec une capacité maximale de 16 apprentis, on est serrés, mais bien installés.»
Lionel Savoy explique encore: «Nous continuons le suivi de nos apprentis micromécaniciens une fois qu’ils poursuivent leur formation en troisième et en quatrième année dans l’une de nos entreprises. Chaque semaine, je rends visite à l’une d’entre elles.»
Centre de formation: une voie médiane
Quel est l’intérêt d’un apprentissage en dual (école-entreprise) dans un centre de formation tel que celui de Blancpain, Breguet et CHH? Ces centres de formation offrent une voie médiane entre l’environnement protégé d’une école professionnelle (en l’occurrence, l’École technique de La Vallée) et un pur atelier d’entreprise. Pierre-Olivier Capt, responsable de la formation pour les trois entreprises susnommées, détaille: «Jadis, la transition des bancs scolaires au monde professionnel était peut-être abrupte. Ici, au centre, nos apprentis apprennent à pointer ou à badger, avec un début d’horaire flexible comprenant huit heures quotidiennes; ils acquièrent également les règles de santé et de sécurité au travail, comme en entreprise, mais de manière peut-être plus progressive.»
Complémentarité et enjeux
On se souvient que l’École technique de La Vallée a été créée sous l’impulsion des marques pour former leurs horlogers. La mise sur pied de tels centres de formation (les autres manufactures combières d’importance, Audemars Piguet et Jaeger-Lecoultre en ont aussi un) signalent-elles un retour en arrière? «Nos apprentis continuent à se former à l’École technique au moins un jour par semaine pour les cours théoriques, nous nous considérons donc comme complémentaires. Il faut aussi comprendre l’essor des formations duales en prise direct avec les manufactures. Aujourd’hui, elles représentent une vingtaine d’apprentissages par année pour les métiers de l’horlogerie. À l’époque, ceux-ci se comptaient sur les doigts d’une main. Aussi, les entreprises sont aujourd’hui plus grandes, avec des collaborateurs venus d’un peu partout», toujours selon Pierre-Olivier Capt.
La question revêt également un enjeu financier. Les formations à plein temps en école professionnelle sont plus coûteuses pour l’État et donc le contribuable, comparativement aux formations en dual, notamment dans les centres de formation gérés par les marques. Le dual représente actuellement une moitié des formations dans le secteur horloger, contre 80% dans d’autres secteurs économiques. Pour continuer à former des horlogers et combler cette importante marge, un accroissement de la formation duale (privée) apparaît donc comme la voie à suivre. Le développement de la Vallée de Joux passe lui aussi par l’essor de ces formations duales.
En pratique
Le recrutement se fait en commun pour les trois entreprises, que ce soit par courrier traditionnel, e-mail ou en ligne… Dès les premiers contacts, les formateurs demandent aux candidats, lors de l’entretien qui suit les tests théoriques et pratiques, s’ils connaissent la marque et ce qui les a intéressés. Ils peuvent aussi eux-mêmes les orienter au besoin.
Les trois entreprises (Breguet, Blancpain et CHH) engagent des micromécaniciens.
Fierté pour le responsable du centre de formation, Swatch Group garantit en principe une place à ses apprentis dans tous les domaines à la fin de leur formation, s’ils le souhaitent.
« Électroplaste », un métier d’autonomie et de responsabilité
Moins connu que l’usinage des pièces ou l’assemblage d’une montre, le traitement de surface par galvanoplastie n’en est pas moins une activité suffisamment importante dans l’horlogerie actuelle pour que CHH-Microtechnique ouvre un poste d’apprenti dès cet automne – une première. À terme, le futur électroplaste saura appliquer une couche métallique sur des pièces pour préserver celles-ci de l’oxydation ou de la corrosion, ou en transformant la couleur pour les embellir et ce, au moyen de l’éléctrodéposition. Comparé à un atelier de quarante personnes, ce métier se pratique avec une équipe beaucoup plus petite et donc, un plus haut degré d’autonomie. C’est un métier qui requiert de l’habileté manuelle, et où la chimie joue un rôle important. Attention toutefois, un seul lieu de Romandie dispense des cours d’électroplastes: le futur apprenti électroplaste de CHH-Microtechnique devra donc suivre sa journée hebdomadaire de cours à La Chaux-de-Fonds. Cette rareté a une contrepartie: la quasi garantie d’être embauché à l’issue de sa formation.