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Pourquoi les maîtres de stage proposent aussi toujours la micromécanique

Comme beaucoup d’autres, Durim Berisha s’intéressait au métier d’horloger. À l’essai, il a plutôt été convaincu par la micromécanique, dans laquelle on réalise les outils permettant de fabriquer les composants horlogers ou autres.

Sion, 2018. La Clinique romande de réadaptation, aussi connue comme «la Suva», puisque c’est une structure du célèbre assureur, travaille à réinsérer des personnes accidentées, dont un carrossier-peintre de Bussigny : Durim Berisha, dont le genou ne s’est jamais vraiment bien remis des rudesses du football. « Sur place, j’ai tâté de quelques métiers. Il y avait un petit mouvement horloger à démonter et remonter. L’opération m’a plu, c’est un métier qui m’a semblé faisable. Jusque-là, ma vie c’était les voitures et rien que les voitures. » C’est seulement dans un second temps que le Kosovar d’origine a considéré l’horlogerie dans son aspect social – les belles montres, les poignets des célébrités, le glamour – sans que cela ne l’impressionne plus que ça.

Déficit d’image vite contrebalancé

La suite, c’est à la Vallée de Joux. Lors des tests d’entrée chez le groupe Swatch, Durim Berisha découvre le métier « voisin » de micromécanicien : fabriquer et assembler des pièces de très petites dimensions qui servent à la production d’appareils et d’outillage ; l’horlogerie en est le débouché principal dans tout l’Arc jurassien de Genève à Bâle, mais ailleurs, prothèses médicales et autres instruments de contrôle, aéronautique voire armement ont aussi besoin de ces compétences finalement diversifiées. Du reste, les grandes manufactures combières font en sorte de faire découvrir les deux métiers - horloger et micromécanicien - à tous leurs stagiaires. Et pour cause! Le produit fini, la montre, est un produit d’appel porteur, que tout le monde connaît. La micromécanique ne peut mettre en avant ses propres réalisations de la même manière. Mais ce déficit d’image est vite contrebalancé une fois qu’on a découvert le métier de l’intérieur. Durim Berisha raconte : « À ce moment, je ne connaissais pas la micromécanique, mais cela m’a parlé dès le début. Le métier d’horloger peut avoir un côté répétitif, sinon monotone; il faudra des années et des années d’expérience pour toucher de belles pièces. La “micro” est plus variée. J’ai immédiatement fait le “switch” [la transition, en franglais ndlr] et enchaîné les stages, pour en avoir le cœur net.» Il y en aura six au total.

Comment l’on reconnaît un « mécano »

Les deux derniers ont lieu chez Dubois Dépraz, manufacture de complications horlogères et de composants horlogers établie au Lieu : un premier pour prendre ses marques et se faire proposer un apprentissage, un second pour confirmer le tout. «Quand un jeune découvre la mécanique, on va lui faire faire des exercices très simples de mécanique, un limage, un chanfrein et on va voir sa capacité à prendre les outils en main. Il y a une “fibre” mécanique, où la dextérité est importante ; on la voit assez vite chez les jeunes », explique son formateur, responsable mécanique chez Dubois Dépraz : Enrico Turri, trente-quatre ans de métier dont cinq au Lieu. « On sera attentif aux questions qu’il nous posera devant ses pièces, à sa curiosité, à son intérêt pour le métier. Durim s’est montré à l’aise tout de suite » L’espace d’une semaine, le futur apprenti a côtoyé une dizaine de mécaniciens à divers degrés d’expérience, entre cinq et quarante ans de métier, avec des savoir-faire et des manières de faire différentes et complémentaires.

Durim Berisha opte pour la filière « étampes », plus rare et exigeante. La spécialisation est censée débuter après deux années de tronc commun mais le jeune homme, doué, se frotte déjà actuellement avec les outils d’étampage. Déjà titulaire d’un CFC, il ne suit qu’une demi-journée de cours par semaine à l’Ecole technique du Sentier.

Le moment ou le geste qu’il préfère dans sa formation ? « Quand on essaie l’étampe, une fois assemblée et que les pièces sortent. » Enrico Turri complète : « On peut considérer chaque étampe comme un nouveau projet, une nouvelle pièce. C’est aussi cela qui rend le métier intéressant. »

Enrico Turri et Durim Berisha, une belle complicité. Le premier a proposé à la manufacture Dubois Dépraz de commencer à former des micromécaniciens, c’est lui qui a accueilli le second en stage, l’a recruté et le forme depuis deux ans.
Débouchés assurés

Dubois Dépraz possède quatre sites de production et c’est sur celui de la Combe, dans le haut du village, qu’est regroupée la mécanique. Surprise peut-être, former des apprentis micromécaniciens est une nouveauté pour l’entreprise basée au Lieu. C’est le manque de main d’œuvre qualifiée en micromécanique sur le marché du travail qui a poussé Dubois Dépraz et Enrico Turri à proposer de commencer à en former. « Pour l’image sociale d’une manufacture de plus de trois cents employés, c’est aussi important. La Direction y est sensible », commente le quinquagénaire.

CFC de micromécanicien : garantie de trouver de l’embauche, à la Vallée de Joux ou ailleurs, en horlogerie ou ailleurs : voilà ce qui se dit et se répète d’autant plus que la filière peine à recruter – toujours ce déficit d’image par rapport à l’horloger de métier. Enrico Turri confirme: l’avenir assuré du micromécanicien n’est pas un mythe. « Ces professionnels sont difficiles à trouver et donc convoités, surtout dans le domaine des étampes. Ils trouvent du boulot tout de suite. » À côté de lui, Durim Berisha conclut : « La première lettre de candidature que je rédigerai, dans deux ans, ce sera pour Dubois Dépraz. » Le Bussignolais songe déjà à s’établir à la Vallée de Joux. Chaque année, il prend le permis de pêche, une des autres activités propres à la région…

Etampe : Moule (matrice) d’acier servant à produire des empreintes sur les métaux, à les façonner à l’aide d’une forte pression. Les formes que l’on veut établir en relief sont en creux et inversement.

Micro-mécanicien étampeur : à partir d’un plan, celui-ci réalisera ses pièces sur les machines automatiques (CNC) mais y ajoutera toute la partie d’assemblage de l’outil. Cette filière se poursuit souvent avec de plus amples études.