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Narbel & Co dévoile sa première montre

Ce n’est pas tous les ans qu’un horloger indépendant de La Vallée sort sa première montre

L’horloger indépendant de L’Abbaye joue gros en sortant une montre-concept qui traduit une démarche foncièrement artistique. Simultanément, il annonce un label horloger, manière d’ouvrir à d’autres le tremplin qu’il a mis en place pour lui-même.

Ce n’est pas tous les ans qu’un horloger indépendant de La Vallée sort sa première montre. Au cours de la dernière décennie, David Candaux ou celle d’avant, Romain Gauthier ont pour la première fois affronté le marché, la clientèle et le jugement des spécialistes. Le prototype de Philippe Narbel que nous avons consulté en début de semaine, juste avant son baptême sur les réseaux sociaux hier, frappe d’emblée. Forme rare, en coussin (carré aux côtés arrondi) et un design épuré à l’extrême: un seul cadran, deux aiguilles mais aucun chiffre ni lettre, que du métal. Le nom de l’horloger, on le trouve au verso. Quant au nom de cette première montre, surprise: elle n’en a pas.

ARTISTE REVENDIQUÉ

Ces choix forts, il faut les rapporter au concepteur, Philippe Narbel, lequel a commencé sa carrière comme bijoutier, revendique son approche; l’horlogerie est pour lui un moyen d’expression. Le quadragénaire de L’Abbaye met en avant la notion d’unicité: «J’ai voulu que le futur propriétaire puisse s’approprier complètement son objet, l’adopter, le faire sien. La montre n’est pas la pièce unique, c’est l’être humain qui est unique en premier et c’est à l’individu et à sa propre unicité que cette montre est amenée à faire écho.»

Et quel est son sentiment à l’occasion de cette sortie? «D’un côté, l’émotion, la fierté et de l’autre, un peu de stress et d’appréhension de proposer un objet disruptif comme celui-ci.» Selon Philipe Narbel, elle nécessitera sans doute plus de temps pour trouver sa place dans le marché qu’un produit plus standard, répondant aux goûts majoritaires. «Peu importe, je n’aurais pas pu faire une autre montre», déclare-t-il

COMBIEN DE TEMPS POUR SORTIR SA PREMIÈRE MONTRE ?

Sainte-Croix d’origine, établi à L’Abbaye depuis vingt ans, Philippe Narbel a suivi une seconde formation, comme horloger, chez Audemars Piguet à l’approche de sa trentaine. C’est pendant ses années d’employé qu’il a eu l’idée de sa future première montre. Il s’est ensuite lancé comme indépendant dans la décoration horlogère sous la raison sociale «Manufactor» en 2015, structure qu’il a désormais confiée à un directeur tout en en restant propriétaire, pour se consacrer complètement à la création de montres depuis le printemps dernier. Entre le moment où son associé l’a exhorté à «dessiner enfin cette montre» et la sortie de celle-ci, quatre ans se sont écoulés. «J’avais Manufactor à gérer à côté…», explique Philippe Narbel.

NOUVEAU MODÈLE ÉCONOMIQUE

La sortie de cette première montre sans nom, que son créateur envisage comme l’aînée d’une famille à venir, coïncide avec l’arrivée sur les réseaux sociaux d’un collectif qui porte son nom «Narbel & Co». Reconnaissant ce qu’il doit à l’horlogerie combière et aux compétences de gestion et de marketing dont il s’est entouré, Philippe Narbel entend en faire bénéficier d’autres: «Il y a une réelle difficulté à se lancer comme indépendant dans l’horlogerie. Des amis seraient intéressés à sauter le pas, ils sont employés, ont des idées, un atelier à la maison mais quitter sa sécurité financière pour s’éclater dans les montres est hors de leur portée. Nous aimerions, nous, entourer l’artiste-
horloger d’un certain nombre de compétences pour qu’il puisse se concentrer sur son activité créatrice, comme un label qui va signer un artiste pour un certain temps. Une telle structure n’existe pas à ma connaissance. On travaille sur un modèle économique différent.»

PAS D’INTÉRÊT POUR LE SWISS MADE

Le Swiss made, Philippe Narbel n’en voit pas la pertinence pour lui: «Mon label, c’est la transparence! Les compétences horlogères se sont gentiment développées du côté du Jura français, au fil de ces trente dernières années. Ce développement dans tout l’Arc jurassien franco-suisse a même débouché, en décembre de l’an dernier, sur une reconnaissance par l’Unesco du savoir-faire en mécanique horlogère comme un patrimoine culturel immatériel de l’humanité.»

Pour la commercialisation de son premier produit – et d’autres à venir – l’horloger de L’Abbaye mise finalement sur un rapport aussi direct que possible avec les clients collectionneurs, rendu possible par les réseaux d’informations, avec un seul intermédiaire au maximum. Dix modèles de sa première montre au carré central veineux sont prévus d’être produits pour l’an prochain, dont une version squelette.

LA MONTRE EN QUELQUES MOTS

La forme du coussin accueille souvent des mouvements ronds. L’horloger de L’Abbaye a redessiné de A à Z un mouvement pour bien l’habiter.

Boîte en acier, ainsi que les aiguilles (avec dorure). Platine et ponts, cadran en maillechort. Coussin central en argent 925, qui est la signature visuelle, forte mais tout sauf tape-à-l’œil de la montre. Celui-ci est strié de veines, résultat d’un procédé unique et non maîtrisable dans son rendu final, que Philippe Narbel a inventé il y a vingt-cinq ans. Il promet des complications (une heure sautante, un quantième perpétuel) pour les versions ultérieures.