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Le Risoud, son bois de qualité et ses débouchés

Les brefs étés de La Vallée produisent un bois aux lignes serrées qu’on vient chercher de loin à la ronde

Les brefs étés de La Vallée produisent un bois aux lignes serrées qu’on vient chercher de loin à la ronde pour des instruments de musique ou des meubles de prestige. L’on reparle également des scieries de la région, quasiment disparues

Ce produit-là vaut la haute horlogerie. Dixit Théo Magnin à propos du bois de résonance du Risoud. Cette déclaration n’est pas dénuée de sens quand on considère sa rareté, sa beauté et la dose de savoir-faire que requiert son traitement jusqu’au produit fini. Un arbre tous les dix mille, dit-on et qu’on ne peut abattre qu’un seul jour par mois, juste avant la nouvelle lune. Théoriquement, l’abattage est possible d’octobre à février, mais la forêt étant rapidement sous la neige, ce sont les mois d’automne qui sont propices à la cueillette de ces arbres d’exception.

Au cœur de la forêt

On les trouve au cœur de la forêt, serrés par leurs congénères. Les arbres isolés, de pâturages et de lisière ne croissent pas assez droits. Une fois trouvé son arbre, Théo Magnin le débarde pour en récupérer quelques mètres de grume à partir du pied. Les quatre cinquième du volume de l’arbre finiront en bois de charpente. Ne restera pour le bois de résonance que la partie congrue. Les veines extrêmement resserrées, un millimètre environ, typiques de l’épicéa qui a poussé au-dessus de mille mètres d’altitude, sont sa signature. 

Successeur de Lorenzo Pellegrini

Commerçant en bois, issu d’une famille de scieurs, cet entrepreneur s’est pris d’une passion récente pour ces pièces d’exception, parmi les sapins rouges de la forêt qui s’étale devant son usine. À côté de son commerce de bois, le quadragénaire a repris en 2019 le stock et le savoir-faire d’une entreprise de lutherie locale (JMC) qui fermait boutique, après avoir donné une impulsion remarquable à la reconnaissance du bois de résonance. L’aventure continue donc sous le nom de Swiss Resonance Wood.

Le Covid est passé par là. Aussi, 2021 n’est que la deuxième année de production de Théo Magnin, repreneur des activités de JMC et successeur officieux du «cueilleur» bien connu Lorenzo Pellegrini.

Cueillies cette année, utilisées dans cinq ou dix ans

Les billons cueillis l’an dernier par Théo Magnin lui sont revenus d’une scierie ouverts et mis sur quartiers, pour qu’il continue à les travailler avec son employé. Les voici sur des étagères, à côté du stock repris de ses prédécesseurs exposé dans un showroom flambant neuf. «Guitare à sculpter», «violon dos 2», «violon table 1 fendu»: les différentes pièces sont groupées et étiquetées sur les étagères et la forme reconnaissable entre mille d’une future table d’harmonie déjà dessinée. Le quadragénaire explique: «Cela fonctionne comme une vraie cave à vin, tempérée grâce à un triple vitrage. Certaines planches sèchent depuis plusieurs années. Et les nouvelles venues ne seront utilisées par des luthiers dans le monde entier que dans cinq ou dix ans.»

Le massif n’a pas dit son dernier mot

Autre produit de prestige tiré de la forêt du Risoud, des meubles de luxe. Encore une fois, le sapin produit par ce climat rude intéresse des clients plutôt aisés. Théo Magnin en commercialise lui-même, notamment des tables en bois massif, dont la forme épouse parfois les lignes courbes des arbres. Si le bois lamellé-collé est devenu la norme pour les meubles modernes, le bois massif revient à la mode avec le Covid, observe le commerçant. Sans doute pour son côté rassurant et authentique. 

Menuisier-ébéniste et également scieur à L’Abbaye, Jean-Victor Bonny fournit aussi parfois des connaisseurs parmi ses clients avec du bois de qualité supérieure issu du Risoud. Fabien Roy, ébéniste et quasiment inventeur, a lancé une gamme de tables en kit, à monter soi-même, à l’instar d’une grande marque suédoise de meubles populaires. Celui qui n’est autre que le fils de l’actuel préfet du Nord vaudois est aussi actif dans le bois de résonance, développant des enceintes Bluetooth. Un deuxième client de Jean voulait un lit fait avec ce bois aux fameuses veines droites, fines et sans nœud du Risoud, un troisième en a tiré le corps d’un poste de radio. 

Scierie sur la rivière

Pour la petite histoire, Jean-Victor Bonny de la scierie Clerval opère dans ce qui fut, sur la rivière Lionne qui traverse L’Abbaye, la scierie du village. Il débite encore de temps à autres, avec ses machines d’après-guerre, mais le plus gros de son activité est la menuiserie. Quant au bois du Risoud, qui part pour 80% à l’exportation, il est scié en plaine dans l’une des grosses scieries modernes encore en fonction. Le secteur a connu en effet une forte concentration. Jadis, l’on comptait une scierie par village à La Vallée. Aujourd’hui, virtuellement plus aucune, même dans une région qui compte dix mille hectares de forêt. Un autre acteur local est cependant à nouveau actif dans la scierie, depuis cette année.

Fromage local avec un bois local

Les boîtes de Vacherin Mont d’Or nécessitent elles aussi du bois de première qualité, exempt de nœuds, dont on tire un fond, un couvercle et les targes, les fines bandes latérales. Les bandes d’écorce qui ceignent le fromage pour l’affinage et lui confèrent son goût typique de tanin sont également en épicéa.

Le «roi des fromages vaudois» est protégé depuis 2003 par une Appellation d’Origine Contrôlée. Cette dernière lui impose que tous ses ingrédients soient produits dans un périmètre local bien défini, boîtes y comprises. Jusqu’à peu, l’interprofession était en délicatesse avec cette partie du processus, délocalisée pour moitié en France. Or depuis le début de l’été, la production annuelle, près de 800’000 unités tout de même et utilisées sans délai par les affineurs, a été entièrement rapatriée en Suisse, avec la création d’une société dédiée, Valartibois SA et d’un centre de production avec une scierie intégrée, sise Sus-la-Rose au-dessus de L’Abbaye.

Inauguration inhabituelle

La nouvelle scierie à dimension humaine évoque plus l’artisanat que de l’industrie. Il faut en effet des mains expertes pour fabriquer les boîtes, d’une largeur standard de onze centimètres mais qui peut en atteindre trente. Il suffit pour s’en convaincre d’observer les opératrices récupérer les lamelles prélevées à grande vitesse par un rabot-chariot ou agrafer les boîtes à la main. Présentes ce jour-là pour une démonstration, elles opèrent en effet le reste du temps de l’autre côté de La Vallée, au Brassus.

Son inauguration a eu lieu le 2 septembre dernier en présence d’une soixantaine d’invités dont les acteurs de la filière et les élus locaux. «Une AOP implique une véritable responsabilité pour les producteurs. Le groupe des affineurs a pris ses responsabilités pour pérenniser un savoir-faire local», commentait Pascal Monneron, gérant de l’Interprofession du Vacherin Mont-d’Or. Au nom des autorités, le syndic de L’Abbaye Christophe Bifrare saluait de son coté «la rareté d’accueillir à la Vallée de Joux une nouvelle unité de travail, surtout en dehors de la sacro-sainte microtechnique».