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Au cœur de la montre, partie 2

S’il est un art que l’on pratique à la Vallée de Joux depuis fort longtemps, c’est bien l’horlogerie

«Le plus simple à comprendre : le mouvement c’est le corps, l’extérieur sont les vêtements»

Chez Arola, Alfred Rochat et fils SA, le savoir-faire traverse les générations. L’entreprise à taille humaine située aux Bioux est, elle-aussi, restée dans le giron familial. Alfred Rochat, enfant du pays devenu maître horloger et ayant formé des horlogers lui-même créa sa propre fabrique d’horlogerie en 1941 en embauchant des horlogers formés par lui. Ayant acquis depuis quelques années la marque AROLA, il fonda par la suite la société AROLA Alfred Rochat & Fils SA tout en maintenant son activité au service des marques mondialement connues et appréciées. Les montres produites par la société ont constamment évolué au cours du temps. Passant du chronographe de base, certifié par des certificats de chronométrie de l’observatoire officiel suisse, au développement des mouvements avec complications telles que: indicateur des phases de lune, indicateur des marées, rattrapante (deux trotteuses qui se courent après pour noter des temps intermédiaires), montres squelettes, double fuseau horaire, indicateur jour-nuit, régulateur, heure sautante, etc. Comptant aujourd’hui «huit collaborateurs dont trois ne faisant pas partie de la famille», la société est dirigée par les petits- enfants d’Alfred, Sandra Pilet Rochat et Marc-Aurèle Rochat.

Relève assurée

«Au début grand-papa ne faisait que de l’assemblage de mouvement, sans modification, dans la maison familiale, explique Sandra Pilet. Il a construit l’atelier en 1953 dans lequel ils étaient 12 à travailler. Ils se sont mis à faire des montres finies, environ 18’000 pièces par an. Les enfants ont rejoint l’entreprise et l’ont reprise. Aujourd’hui c’est avec mon frère Marc- Aurèle, qui a fait ingénieur mécanique à l’EPFL, que nous dirigeons l’entreprise. Mes enfants Sandy, Dylan et Laura sont déjà à l’œuvre dans nos ateliers, la relève est assurée!»

«Notre grande spécialité est le squelettage, soit sur demande du client, soit sur nos idées, explique Marc-Aurèle, il permet de diffuser la lumière à travers le moteur de la montre. Il y a encore beaucoup de squelettes à inventer: au niveau de la forme, sur le même mouvement on peut tout imaginer! Ici nous vendons les mouvements, les pièces finies. Nous travaillons en private label, c’est-à-dire celui qui achète sa montre met sa marque dessus. Notre poinçon est ARO, on le met sur chaque mouvement qui sort d’ici, c’est une question de traçabilité. Nous travaillons principalement sur les calibres ETA, nous sommes donc tenus de mettre notre poinçon. Ça aide à éviter les contrefaçons. C’est la Fédération horlogère qui a imposé le poinçon, pour superviser les montres. Il y a une vingtaine d’années, cinquante mouvements avaient été volés pendant leur expédition à Munich, et le poinçon sert dans le cas où ils reviendront sur le marché, on verra qu’ils ont été volés.

Le covid est passé par là

«Nous avons été indirectement très impactés par la crise sanitaire actuelle, jusqu’au début de l’année 2021 nous étions débordés puis en janvier tout s’est arrêté net, plus aucune commande, c’était le désert. Les bijoutiers étaient fermés, les clients prenaient peur… et depuis début avril ça repart gentiment. On a de la chance, nos clients viennent à nous, surtout par le bouche-à-oreille, je me suis mise à communiquer sur les réseaux sociaux, sur Google business… On va vers une bonne éclaircie mais c’est très difficile d’avoir une vision à plus d’un an, alors qu’avant notre carnet de commandes était plein trois ans à l’avance! Les pièces créées par grand-papa sont toujours en vente à l’heure actuelle, c’est une grande fierté!»

Quel avenir?

«Il n’y aura pas de grande révolution, explique Pierre Dubois de Dubois & Dépraz SA, ce qui existe aujourd’hui existera dans plusieurs années. La croissance de la montre connectée n’a pas détruit l’horlogerie classique, c’est un autre produit. On a eu peur de leur arrivée sur le marché mais ça n’a empiété que sur les parts de marché de la montre bas de gamme. Notre métier c’est plus du haut de gamme.

On peut toujours avoir une révolution, comme le quartz dans les années 70 qui a mis en péril les horlogers de la Vallée de Joux, dès lors, on a fait plus de valeur ajoutée, La Vallée a tiré son épingle du jeu, Dubois & Dépraz s’est en sorti aussi grâce à la diversification à cette époque. Il y a eu des cycles. Dans le luxe, ceux qui ont du pouvoir d’achat vont continuer à acheter, c’est notre positionnement.»

Chez Arola les esprits essaient de se montrer optimistes malgré la situation «Nous avons actuellement une vision de trois à quatre mois, c’est déjà bien, explique Sandra Pilet Rochat. Les clients sont plus frileux et veulent tout, tout de suite. Nous sommes obligés de faire au fur et à mesure et s’il y a trois mois de délai, les gens renoncent, alors que c’est un temps qui est quasiment incompressible si on veut faire du bon travail. Il faut qu’on ait ce qu’ils désirent en stock et là, ça joue. Cela dépend des clients, certains savent et comptent là-dessus. On espère que ça va changer, que les clients reviennent à la raison. Nous avons de nouveaux clients mais la majorité sont des fidèles. Aujourd’hui on ne sait pas quoi dire quant à l’avenir et la pérennité de l’entreprise.

Nous ne sommes pas sereins, les choses évoluent très vite. La Chine arrive à faire des produits de quasi même qualité avec des prix défiant toute concurrence. Géopolitiquement, ça peut basculer tellement vite! Les marchés suisse et européen ne représentent qu’une partie de ce qu’on fabrique. Les grandes marques suisses ont été impactées par les révoltes de Hong Kong par exemple, ça nous est retombé dessus!» conclut-elle.

Intervenants dans cet article:

Sandra Pilet Rochat et Marc-Aurèle Rochat https://www.arola-alfred-rochat.ch/

Pascal et Pierre Dubois https://www.dubois-depraz.ch/