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L’étampe, un outil essentiel

La micro-mécanique d’exception

Pas de haute horlogerie sans étampe, mais pas seulement: l’aéronautique, le médical, la connectique et l’automobile en sont friands. Mais alors, pour les non-initiés, qu’est-ce que l’étampe? A quoi sert-elle? Pourquoi est-elle devenue indispensable dans la micro-mécanique d’exception?

A la Vallée de Joux, nous avons la chance d’avoir deux des trois fabricants d’étampes non rattachés à une marque dans le canton de Vaud. A leur contact, c’est tout un univers
totalement méconnu des profanes que l’on découvre, réalisant ô combien ce savoir-faire est devenu essentiel dans le monde d’aujourd’hui, en plus de celui d’hier. L’étampe était
déjà présente au XVIe siècle avant JC, utilisée par les mycéniens (Grèce antique) pour l’outillage de série, dans les dorures ou décorations pour les fêtes ou les tombeaux.

L’Etampe

Outil de grande précision qui a révolutionné la fabrication mécanique de la montre; elle permet de former, percer, rectifier, découper la plupart des organes de la montre. C’est un outil très complexe qui peut effectuer une ou plusieurs opérations de découpe et de pliage, parfois d’emboutissage, sur une bande de métal. Elles sont automatiques ou progressives selon le nombre d’opérations à effectuer jusqu’à la pièce finie. Le principal avantage de cette technique – la même qui est utilisée pour frapper la monnaie ou fabriquer des éléments de carrosseries – est de pouvoir produire de manière répétitive de grandes séries de pièces à un coût moindre et de qualité constante.

Indispensable à l’horlogerie haut-de-gamme, elle l’est aussi pour d’autres domaines tels que l’aéronautique, l’électronique connectique, le médical et l’automobile, entre autres. Chaque étampe est unique, créée à partir d’un dessin transmis par le client. Dès lors, selon le niveau de complexité de la pièce, il faut compter de deux à quatre mois pour une réalisation d’étampe depuis la préparation au bureau technique, soit déterminer les opérations à réaliser, définir
les matériaux, concevoir toute la mécanique de l’étampe, dessiner l’outil, le fabriquer, le monter et l’ajuster. «C’est exclusivement du sur mesure, explique Christian Meylan, CEO de l’entreprise Meylan Frères SA, il n’y a aucun standard de catalogue, tout est fait à partir du cahier des charges. Une fois les premières pièces de validation façonnées, on lance la production. Une étampe pour une pièce, capable d’en produire de 10’000 à 30 millions par année, en fonction de la demande du client. Le travail reste le même, qu’il s’agisse de séries très importantes ou de prototypes de pièces servant au développement de nouveaux produits ou de montres.»

Maîtrise technique

C’est au Brassus, dans ce village du bout de la Vallée de Joux que se situent nos deux étampeurs combiers. Microboum Sàrl est situé en plein milieu du village. La société dirigée par Marc Baumgartner a été créée par son père Jean-Claude en 1998, après avoir repris l’atelier mécanique de M. Reymond dit Bocci. Des outils de pliages, Jean-Claude a orienté l’entreprise vers la fabrication d’outils pour l’horlogerie de luxe. «Les quantités devenant de plus en plus faibles, la rentabilité prit la même courbe descendante, explique Marc Baumgartner, l’horlogerie de luxe traditionnelle souffrait passablement avant la crise sanitaire actuelle, on sentait déjà les volumes baisser avant le Covid. Ce dernier a participé à la baisse, non seulement des volumes mais également à celle des commandes, surtout que nous sommes positionnés dans le haut-de-gamme. Nous avons donc développé des techniques qui permettent d’aller au-delà de la capacité standard de l’étampage. Nous sommes les seuls à avoir développé un outil qui découpe une roue d’horloger avec un trou de 15 centièmes au centre. Pour le réaliser, il y a une dizaine d’années déjà, nous avons cherché un partenaire capable de percer un trou encore plus petit, soit 12 centièmes. On a passé un an à chercher mais personne n’était capable de le faire, alors pour finir j’ai décidé de repenser l’outil différemment et de le fabriquer moi même. Depuis 1998, papa était seul, je l’ai rejoint en 2004 à l’aube de sa retraite, après avoir travaillé 4 ans pour une grande manufacture locale, ce qui m’a permis de voir tous les procédés de fabrication de la montre. Après mes études de CFC micro-mécanicien – faiseur d’étampes, j’ai repris mes études d’ingénieur à la HES en micro-mécanique à Yverdon et obtenu mon diplôme d’ingénieur ETS (Ecole Technique Supérieure). Mon père m’a transmis tout son savoir-faire, ses compétences précieuses. Aujourd’hui nous sommes quatre à Microboum Sàrl, tous formés aux techniques de l’étampage. Nous avons un gros client combier, le reste se situe hors Vallée de Joux et représente des groupes horlogers connus. Du fait de mon indépendance, je peux travailler
avec tout le monde de l’arc jurassien de Genève à Bâle.»

Du début à la fin de la chaîne

Chez Meylan Frères SA, autre ambiance. L’entreprise créée par Achille et Pierre Meylan en 1972 ans la ferme familiale compte de nos jours une quarantaine d’employés. Depuis sa création, une première usine a été construite dans les années 80, reliée au sous-sol de la maison. Les agrandissements s’enchaînent sur les années jusqu’à un incendie en 1991. C’est l’eau utilisée pour éteindre le feu qui causa le plus de dégâts, l’usine est donc refaite entièrement
et en 2017 la dernière pierre est posée, l’entreprise est flambant neuve, avec une partie
plus ancienne datant de 1992. Au départ, les deux frères fabriquaient des étampes pour des
tiers, la politique de l’entreprise change sous la direction de l’actuel directeur Christian Meylan,
qui décide de nons-eulement fabriquer les étampes, mais d’assurer également les productions. Après avoir beaucoup travaillé sur des pièces de grandes dimensions pour l’aéronautique, notamment pour Rolls Royce, General Electric ou encore SNECMA, il décide de recentrer l’activité sur l’étampage au début des années 2000. «On ne vendait plus directement l’étampe au client, on vendait les productions de pièces, explique Christian Meylan. Et cela pour deux raisons: quand on fabrique seulement des étampes, on est plus dépendants des fluctuations alors que la production reste stable. La deuxième raison est que le client ne voulait plus effectuer la maintenance de l’étampe, alors qu’ici, nous avons toutes les ressources pour la faire. C’est difficile de concilier les deux, il n’y a pas de disparité dimensionnelle, l’infrastructure est différente. Nous avons toujours cette exigence sur le rendu de la pièce, encore plus aujourd’hui. Nous travaillons avec des sous-traitants pour finir des pièces, notamment pour les traitements de surface, traitements thermiques, mais nous effectuons toujours le contrôle qualité final de la pièce.

Une technologie de pointe

«Aujourd’hui, un tiers de notre clientèle est internationale, nous exportons 35% de nos pièces. En Suisse, la clientèle est principalement horlogère, mais nous en avons aussi dans la construction: nous fabriquons des pièces essentielles pour des stores par exemple. Nous sommes spécialisés dans l’étampe progressive montée sur presse rapide, ce qui signifie
qu’il peut y avoir jusqu’à 15 postes de travail sur une même étampe, plusieurs opérations sont effectuées: le découpage de la matière, le roulage, le pliage, l’emboutissage, la frappe… chaque étape fait une progression de la forme. Le secteur medtech constitue 15% de nos activités. Lors
de la crise sanitaire, nous avons été sollicités pour fabriquer des micro-pièces essentielles pour les respirateurs. Nous fabriquons des micro-pièces pour des appareils auditifs et dentaires. C’est un des domaines qui fait partie de notre stratégie de diversification de nos activités. La connectique en fait également partie et constitue environ 10% de l’activité. L’automobile et la
défense représentent 5% chacun. La plus grande part revient à l’horlogerie, qui à elle seule constitue 45%. Nous garantissons nos étampes à vie, c’est pourquoi il est plus simple de les garder dans nos locaux pour les affûter afin de garder la même qualité, pour effectuer les mêmes coupes et les mêmes dimensions. Nous maîtrisons le très fin: moins de 10 microns. C’est une des différenciations par rapport à la concurrence, notre précision est à plus ou moins 3 microns. Nous utilisons l’électro érosion pour des petites séries, pour usiner les constituants de l’étampe.»

Et pour l’avenir ?

«Notre métier est assuré car nécessaire, commente Marc Baumgartner de Microboum Sàrl, la
difficulté pour nous est que le monde actuel a une vision à tellement court terme qui ne correspond pas vraiment au potentiel d’une étampe, qui est faite pour durer. Il suffit de l’entretenir pour justifier l’investissement. Il faut avoir une vision à long terme. Je suis d’un autre côté pessimiste car aujourd’hui on veut tout, tout de suite, on est dans le monde de l’éphémère alors qu’on est bombardés de demandes de durabilité pour le climat. Une étampe bien pensée, bien fabriquée, consomme des matériaux utilisés parcimonieusement et les déchets sont récupérables, il n’y a pas de perte, il faut juste un peu d’électricité pour faire tourner un moteur de presse. Chez nous on a de l’électricité verte, garantie par contrat avec notre fournisseur.»
C’est la diversification menée depuis quelques années qui rend optimiste Christian Meylan, de Meylan Frères SA. «Notre entreprise est restée indépendante depuis ses débuts. L’horlogerie reste historiquement au coeur de nos activités mais notre développement dans d’autres domaines apporte de grands espoirs quant à la durabilité de notre entreprise, toujours
dans l’étampage, conclut-il.»

Sources
Un métier rare mais précieux: faiseur d’étampes, article 24 heures
Au coeur de la micromécanique d’exception, Meylan Frères SA
Intervenants dans cet article
Marc Baumgartner: http://www.microboum.ch/
Christian Meylan: https://meylanfreres.ch/