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Polisseurs, de père en fils

Quatrième volet de notre série de printemps dédiée aux sous-traitants horlogers de la Vallée de Joux.

Industriel tout en restant artisanal le polissage de surface réalisé au coeur des Bioux est aux mains de la troisième génération des Pittet. Quatrième volet de notre série de printemps dédiée aux sous-traitants horlogers de la Vallée de Joux.

Pas grand-chose n’a changé dans les bâtiments jumeaux tenus «Chez Aaron» par la famille Pittet, aux numéros 10 et 12-16 respectivement, depuis les années 50. Les machines de polissage créées alors par le fondateur Victor Berney et son neveu Samuel Berney sont toujours en service, les mêmes qu’au début, comme si le temps s’était figé dans ces ateliers. Ceux-ci ont vu jusqu’à huitante millions de pièces polies en une année, une époque que les responsables
actuels, Steve Pittet et Pascal Pittet, tous deux quadragénaires, n’ont pas connue. Aujourd’hui, l’entreprise active dans les pierres fines et le polissage d’aciers compte encore douze collaborateurs. Et pas de site internet. Le bouche-à-oreille et sa réputation lui ont toujours suffi.

Artisanal

Si le polissage s’est développé ces dernières décennies du côté de la chimie et de l’automatisation (dans des cuves vibrantes au contact de matières abrasives, par électrolyse ou encore ultrasons), l’entreprise Pittet et Fils maintient ses techniques de polissage mécanique. «J’ai repris tout ce que mon papa faisait il y a vingt ans déjà et j’ai toujours foncé dans ce sens-là», résume Steve Pittet, l’aîné des deux. «Rien ne marche chez nous avec l’électronique. Notre métier, c’est du feeling, du toucher – tout à l’oreille. C’est stressant et gratifiant à la fois, typiquement: quand on a bien réglé sa machine et que le résultat est au poil!» ponctue Pascal Pittet. Parler de «poil» n’est pas inapproprié quand on pense à la taille des pièces et de l’abrasion: «Certaines pièces arrivent du décolletage avec des degrés de pré-finition très élevés et nous, on va chercher juste un ou deux centièmes pour faire propre», précise Steve Pittet. «Dans l’ultra-précision, le mieux est l’ennemi du bien; la qualité, aujourd’hui, devient par moment exagérée. Il faut alors oser dire: “Stop, on n’arrive plus!”»

«Alchimistes»

Binôme soudé et complémentaire, les cousins Pittet n’ont pas entamé leur carrière dans le polissage. Steve s’est formé comme mécanicien en machines agricoles et Pascal comme employé de commerce, mais l’usine familiale les a rattrapés et formés. Aujourd’hui, le premier s’occupe des surface planes et le second, des bombées. Il explique: «Il faut que la pièce brille et qu’elle soit propre, mais à partir de là, le travail se renouvelle sans cesse. Un exemple: on travaille sur une série, la journée s’achève et on reprend le lendemain et ça ne va plus du tout.
C’est la même pièce, polie de la même manière avec les mêmes gestes, mais voilà, l’air est plus sec ou plus humide et de nouveaux réglages s’imposent. Parfois, on ne sait pas expliquer ce qui
ne joue pas. Rien ne sert de s’obstiner, autant partir une heure se balader, voire reprendre le lendemain». A en croire, les polisseurs ont cette réputation d’alchimistes. «Il faut aller loin dans le développement pour sentir ces choses. Certains ne veulent plus de cette manière de travailler. Il en va de même de certaines matières. Pour savoir si on peut les travailler et comment, il faut essayer», détaille encore Steve Pittet.

Diversification

Le polissage des aciers en tous genre est venu en second dans l’entreprise (à l’occasion de la crise du quartz), après les pierres d’horlogerie. Du reste, l’entreprise Pittet & Fils SA produit encore aujourd’hui sa propre spécialité, un contre-pivot en corindon (rubis de synthèse)
utilisé dans les antichocs de montres mécaniques et automatiques. Autre spécialité de l’entreprise des Bioux, les goupilles cylindriques destinées à être ultérieurement montées sur un pignon par des horlogers. Ces deux produits rares lui assurent un «matelas» financier qui lui permet d’encaisser les variations, parfois les chocs, liés à la conjoncture horlogère. S’il n’y avait
que le polissage des aciers, il n’est pas certain qu’elle tirerait son épingle de jeu. Sinon, comme nombre d’autres entreprises de polissage, elle risquerait d’être rachetée et intégrée à un groupe.

Indépendants jusqu’au bout

Un rachat éventuel, même une prise de capital d’un partenaire extérieur, les cousins Pittet ne veulent pas en entendre parler – jamais! «S’il faut encore réduire la voilure, on le fera, mais on a de la marge», confie Steve Pittet. «Notre avenir, c’est de garder notre identité. Il nous a fallu des
décennies pour en arriver là. On est fiers de notre tradition familiale, de notre façon de travailler.» Familiale, l’entreprise l’est aussi dans ses relations avec ses collaborateurs. «Personne chez nous n’a moins de vingt ans de boîte, à une exception près. Quand on a commencé, des
employés avaient même trente ans, trente-cinq ans au compteur. C’est vraiment du long terme», explique encore Pascal Pittet. A noter encore que deux tiers de la clientèle des polisseurs sont hors Vallée de Joux. Si l’horlogerie reste son principal débouché, les «cousins» des Bioux et leurs collaborateurs travaillent aussi quelquefois pour le secteur automobile ou médical.