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Télétravail: un premier pas, ni plus, ni moins

On savait la Suisse en retard sur nombre de voisins en matière de télétravail.

Cette manière de travailler recueille des avis mitigés après l’expérience de ce printemps, car forcée sans préparation et limitée aux technico-commerciaux. Les ateliers, eux, n’étaient de toute façon pas concernés. De là à thématiser comme certains un Grand basculement, on va peut-être trop vite. Quelques premiers enseignements tout de même.

On savait la Suisse en retard sur nombre de voisins en matière de télétravail; conservatrice, même. Et voilà que le Grand confinement a forcé plus d’un corps de métier à remplir ses missions depuis le domicile. «On a été balancés dans le télétravail sans règle ni coaching; c’était une fuite organisée, de la gestion de crise», estime notre premier interlocuteur. Ce responsable d’un site de production horloger, qui s’exprime sous couvert d’anonymat, ne s’en cache pas: il n’est pas totalement convaincu. Pas de manière dogmatique, mais plutôt parce que, selon lui, cette ruée chacun vers son domicile procédait d’un effet de mode; quelqu’un l’a fait et tout le monde a suivi. Du reste, il salue tout de même «une impulsion vers l’ouverture.» 

L’EXPÉRIENCE DU PRINTEMPS N’ÉTAIT PAS REPRÉSENTATIVE

Dans le détail, ce cadre horloger dit avoir été «malade de réunionnite» pendant tout le confinement, avec des séances à suivre où tout tournait autour du Covid: réorganisation des équipes, mesures sanitaires et autres attentes que le marché redonne des signes de vie. Sa conclusion: le télétravail des derniers mois n’était pas représentatif. Une véritable analyse devrait se faire auprès des sociétés qui ont une habitude du télétravail. La question de la productivité, pour lui, est centrale – non celle des ateliers, à l’arrêt, mais des bureaux techniques. Peut-elle être analysée? «En l’état, nous n’avons que le ressenti des uns et des autres à disposition.»

Voilà un avis que ne partage pas le responsable des ressources humaines d’une entreprise horlogère combière, lui aussi sous couvert d’anonymat. La mise en place d’outils de suivi et de gestion des tâches au sein des équipes a servi selon lui de révélateur, là où le suivi traditionnel, au jugé et en présentiel, ne renseignait finalement qu’une chose: l’employé était bien là au bureau et on le voyait à l’œuvre. Mais son efficacité? Avec le télétravail, il est paradoxalement devenu plus difficile de faire semblant. Le même responsable explique encore que des collaborateurs discrets, pas forcément populaires se sont révélés finalement fiables et efficaces.

«PLEIN DE POSITIF»

Pour une fois, nous avons mené l’enquête parmi nos propres collègues, à l’imprimerie Baudat. L’un de nos graphistes s’était déjà vu proposer d’effectuer une partie de son travail à distance et l’avait refusé tout net. Aujourd’hui, il partage son temps entre L’Orient et Morez, dans le Jura français, et déclare voir «plein de positif» dans le télétravail. Et de citer, pêle-mêle une meilleure concentration sur ses tâches, sans le bruit des machines et les sollicitations de ses collègues et la possibilité de répartir son travail de manière plus libre dans la journée; sur le plan personnel, il gagne au minimum une heure et demie de trajet quotidien et il a retrouvé la joie de manger le midi en famille – ça, c’est depuis que les petits Français ont retrouvé le chemin de l’école. Auparavant, d’avoir ses enfants sur le dos, qui veulent jouer ou câliner et devoir les repousser constamment en leur expliquant que «papa travaille» n’était pas aisé.

Vu de l’employé, le télétravail compte en effet aussi des désagréments. Notre collègue: «J’ai découvert que j’avais du mal à m’arrêter vraiment, avec l’ordinateur toujours allumé. Je jette un coup d’œil en passant devant, je réponds vite au client parce que je vois qu’il vient de m’envoyer un e-mail et ma femme me dit: “mais t’as fini, ou pas?” et une heure a passé. En fait, en télétravail, on est un peu disponible tout le temps pour le patron ou les clients qui appellent en dehors de nos heures alors qu’au bureau, quand on est loin, on est loin.»

COMME UN JEU À SOMME NULLE

Au final, alors, de quel côté penche la balance, celui des avantages ou des inconvénients? Verdict: équilibré. Le télétravail est juste une autre manière de s’organiser et de s’auto-discipliner. Et si notre collègue frontalier devait choisir le retour en arrière (présentiel) ou le télétravail? Sa réponse indique peut-être un certain avenir pour les actifs, ceux qui le peuvent et leurs responsables: «J’aimerais bien ne garder que les avantages des deux. Venir au bureau comme la normalité, mais pour telle tâche qui demande un effort ponctuel et soutenu, me calfeutrer chez moi deux ou trois jours, car j’y suis plus productif à la journée.» 

Un obstacle toutefois au développement du télétravail en la Haute Combe: le retour probable de la réglementation européenne, suspendue pendant le confinement et selon laquelle la personne travaillant 25% ou plus de la totalité de ses heures à son domicile dans un pays de l’UE sera assujettie au régime et au taux de la sécurité sociale de son pays de domicile. Une préoccupation très réelle pour la Vallée de Joux, où la moitié des emplois sont occupés par des frontaliers.