Catégories
Combiers News

La reprise dans les écoles vaudoises

Comment les professeurs ont-ils vécu la période de confinement?

Une semaine que les enseignants et les élèves de primaire ont repris le chemin de l’école. Comment les professeurs ont-ils vécu la période de confinement? Comment s’est passée cette reprise? Nous remercions les professeurs témoignant ici, sous couvert d’anonymat.

Les informations données ci-dessous ne sont pas spécifiques à La Vallée, vu que les enseignants de notre établissement de la Vallée de Joux ont reçu l’interdiction formelle de s’adresser à nous sous peine de sanctions (voir ci-dessous). Notre mission d’information, hormis la publication des résultats des promotions chaque année, se voit donc diluée dans la réalité cantonale pour ce qui touche aux écoles de vos enfants.

«J’EN AI MARRE, JE VEUX RETROUVER MES ÉLÈVES!»

Sirius Black enseigne au gymnase et ne retrouvera ses élèves qu’en juin, si tout va bien. D’ici là, c’est l’enseignement à distance qui mobilise tout ou partie de son énergie «on a été un peu lâchés dans la nature, sans savoir ce que voulait réellement dire enseignement à distance. Certains sont à l’aise en informatique, d’autres pas du tout. On avait pléthore d’outils mais pas nécessairement l’énergie pour préparer des choses, j’ai été pas mal débordé avec ça, j’ai fait beaucoup de veille. Certains collègues ont été pris au dépourvu et le système leur a fait peur, eux qui peinent déjà avec Word ou Excel! Je leur ai fourni de l’aide à distance, déjà quand on est à côté c’est compliqué alors par téléphone ou zoom c’était très dur. Je finissais par faire à leur place sinon ça me prenait trop de temps. On n’a pas anticipé, puis on nous a dit «foncez» ce qui nous a mis une pression considérable sur les épaules, surtout sur celles de ceux qui veulent bien faire. Le problème est qu’on nous a habitués à avoir des gens au-dessus de nous qui nous disent quoi faire, du coup j’attendais. Pour finalement me rendre compte qu’ils en savaient moins que moi. Ce qui me choque c’est qu’on aligne tout le monde (les élèves) sur l’élément le plus faible pour éviter les différences de niveau, on nivelle par le bas ou alors on ne fait carrément pas, c’est assez cocasse. J’ai été pas mal stressé, j’ai une vie de famille aussi. J’ai laissé mes gamins de côté et je cours après mes élèves! La reprise du 8 juin est plus politique qu’autre chose vu qu’ils ont déjà réussi leur année. Je commence à user. Je travaille pour ceux qui veulent travailler. Je propose des zooms, sans fiche de présence. On travaille avec une vieille plateforme et beaucoup d’emails n’ont jamais été reçus ou envoyés, mais on s’est débrouillés. C’est important de revoir mes élèves mais le travail sera à la carte. Certains auront déjà reçu leur diplôme à la reprise.»

«J’ÉTAIS PÉNARD!»

Voldemort est enseignant de premier cycle et pour lui «tout s’est très bien passé! Pourquoi? Parce que ça fait des années que j’ai mis en place des outils adaptés et des solutions en sous-marin qui fonctionnent parfaitement bien! Je suis sensible à la cause informatique et les outils pour travailler sont très importants… honnêtement ma plateforme fonctionnait en douce et là, c’est son heure de gloire!! Résultat mes élèves sont au top! Les gens connaissaient déjà, du coup tout le monde est pénard chez soi! Le canton a quand même fourni une solution plutôt satisfaisante mais c’est propre à chaque établissement. La fracture numérique et les inégalités sociales sont très importantes et ce n’est pas évident pour tout le monde. Sinon la reprise par demi-classe c’est sympa, on n’a plus de pression car plus d’évaluation, ce qui complique un peu la discipline en classe. On fait des révisions, de la conjugaison, de la lecture. Pas de choses nouvelles au programme, on va boucler les chapitres en cours, on ne peut pas aller plus vite que la musique. Surtout ne pas se prendre la tête!»

«J’AI MAL GÉRÉ LE STRESS»

Pour Bellatrix Lestrange, la distance a compliqué les choses «j’étais hyper stressée! On a dû suivre une formation continue en ligne pour apprivoiser la plateforme. J’ai eu beaucoup de pression, j’ai mis en place des choses, j’ai testé… une fois pour voir, j’ai posté un exercice à minuit, à 00h05 j’avais déjà des questions d’élèves! J’ai reçu beaucoup de mails de la direction car il fallait absolument fournir du travail. J’ai fait l’erreur de demander un devoir – j’ai une centaine d’élèves – j’ai littéralement pété un câble! Sans maîtriser l’outil informatique, avec des élèves qui m’envoyaient n’importe comment leurs trucs, je n’arrivais pas à expliquer… Les élèves ne sont pas correctement équipés ce n’est pas facile à gérer. Ce bombardement incessant d’emails aussi… J’ai senti pas mal de pression de la part de notre direction mais c’est peut-être moi qui ai mal géré. La reprise? Que dire? On fait plus du gardiennage qu’autre chose, car on ne peut pas faire la pratique. On attend de voir comment ça va se passer.»

«JE ME SUIS ORGANISÉ DE MON CÔTÉ»

Dumbledore, toujours serein, a gardé contact avec les parents «car la plateforme boguait. En fait je n’ai pas changé grand-chose à mes méthodes de travail, à savoir que je prépare, comme à mon habitude des dossiers sur trois semaines, sauf qu’au lieu de donner le numéro de l’exercice, j’ai détaillé le pourquoi en joignant des fiches de théorie. Chaque semaine j’envoie le corrigé. J’ai ouvert un forum pour chaque classe, avec les mails et téléphones. Mais ils se sont arrêtés assez vite car c’était pénible à la maison. Le système Educanet2 est un peu obsolète et ne contient qu’un faible volume de stockage. Puis il a bogué pendant une semaine entière! C’était très embêtant! Le département nous a forcés à vérifier que tous les élèves pouvaient se connecter et tout a sauté! Heureusement qu’on avait les mails des parents et chacun a fait à sa sauce, même des groupes WhatsApp avec les élèves ce qui est formellement interdit! Puis rapidement on a utilisé Zoom mais bon, va expliquer la géométrie avec un clavier! C’est bien pour avoir un contact mais pas pour travailler avec des 12-15 ans. Les premiers jours on avait plus d’une centaine de mails des parents! La reprise s’est bien passée quoique bizarre de voir les élèves parqués par classe et dans la cour. On a de multiples consignes (désinfection des portes, poignées) on a l’impression d’avoir Ebola! Au bout d’une demi-journée, les règles ont vite été oubliées, aussi bien par les profs que par les élèves. On est tous contents de retourner à l’école, le contact social est quand même important. Comme il n’y a plus d’évaluations, les élèves sont sereins et nous aussi. On nous a demandé de ne pas introduire de nouvelles notions, mais de faire des révisions et préparer la rentrée d’août. Les demi-classes permettent une rentrée progressive, c’est plus léger, c’est une autre forme de pédagogie, particulièrement agréable.»

«TIKTOK EST MAÎTRISÉ, PAS LES PDF!»

Rogue, professeur d’éducation physique, a donné des défis quotidiens à faire aux enfants «des défis Tabata pour les grands, ça leur a bien plu! Ce qui leur faisait entre 4 et 7 minutes d’activité physique par jour. La reprise? Distribuer du travail c’est une chose, qu’il soit réalisé en est une autre! On se rend compte de la fracture numérique et sociale importante et c’est très intéressant au niveau pédagogique à évaluer. En gros, tous maîtrisent à la perfection Instagram et TikTok, mais pour ce qui est d’ouvrir un pdf et le remplir c’est autre chose! Voilà le prochain objectif tout trouvé: travailler les pdf en classe! La motivation des élèves est différente car il n’y a plus d’enjeux, c’est le moment d’être créatifs dans notre enseignement!»

A noter que le Département de la formation et de la jeunesse a voulu compenser exactement ce que nous prévoyions dans notre premier article sur le sujet, à savoir que les inégalités entre élèves seraient creusées. Dans son courrier envoyé le 30 avril dernier, Cesla Amarelle, Cheffe du DFJC à l’attention des parents et enseignants «Le DFJC a assoupli les conditions d’orientation, de promotion et de certification en suivant deux principes: le respect de l’égalité des chances et l’atténuation de l’effet de la pandémie sur le cursus des élèves. C’est pourquoi il a pris les trois décisions suivantes:

– La moyenne obtenue au premier semestre sera comparée à celle obtenue jusqu’au 13 mars.

– Tous les élèves en situation d’échec et considérés comme «cas limites» seront promus, passeront leur année ou obtiendront leur certificat au lieu de voir leur situation évaluée par le conseil de direction. Un élève est en situation de «cas limite» lorsqu’il ne satisfait pas, de peu, aux conditions de réussite.

– En dehors de ces «cas limites» les élèves en échec pourront se prévaloir de «circonstances particulières» pour être promu sur demande des parents et sur préavis du conseil de classe. Dans l’examen de leur situation, les conseils de direction se fonderont sur une analyse globale de la situation de l’élève, y compris depuis son retour en classe.»

CARRE NOIR : PAR CÉDRIC BAUDAT

PAS FACILE DE PARLER DE L’ÉCOLE À LA VALLÉE… OU AILLEURS

«Surtout ne pas faire de vagues, ni critiquer le système! On ne peut plus parler de son métier, ni émettre des opinions personnelles sans se retrouver convoqué au département dès le lendemain, parfois le jour-même! Tout est verrouillé, on a interdiction formelle de communiquer avec les médias… Il y a un contrôle de l’information très important. A tel point qu’on les appelle «La Pravda»! On ne peut plus penser par nous-mêmes, tout doit venir de «là-haut». On est dans une structure pyramidale qui fait que personne ne prend de décision par soi-même, tout le monde a peur, tout remonte au département, confie Sirius Black, visiblement amer. Oui, on tient à notre métier, on l’aime sinon on ne serait pas là! Mais cette soviétisation de l’information ne me plaît pas du tout! On a quand même le droit de s’exprimer!» Et bien non. C’est clair et net: un employé qui parle en mal de son entreprise est en porte-à-faux et s’expose à des conséquences», précise Julien Schekter, Responsable de la Communication au Département de la Formation, de la Jeunesse et de la Culture pour l’Etat de Vaud.

Ayant voulu parler aux professeurs enseignants à la Vallée de Joux, la FAVJ s’est vu signifier une fin de non-recevoir. Pire, après un témoignage d’un enseignant de la Côte sous couvert d’anonymat, la direction des écoles combières a procédé à une véritable chasse aux sorcières pour découvrir le/la coupable d’avoir parlé à la presse et envoyé un courrier électronique relativement corsé aux concernés, avec l’Imprimerie en copie. En voici quelques extraits «Cet enseignant a délibérément désobéi aux consignes répétées plusieurs fois en conférences des maîtres. Il s’expose donc à des sanctions administratives, au vu de la gravité de la faute. Je me réserve le droit de transférer l’article à la Cheffe de département (si elle ne l’a déjà lu…). Je vous rappelle une fois de plus, que vous n’avez pas le droit de vous exprimer face à un journaliste sans mon autorisation. (…) Je vous demande la plus grande prudence et ainsi vous méfier des journalistes. Evitez de vous faire manipuler par les journalistes qui ne montrent pas toujours une éthique des plus respectueuses.» La FAVJ s’excuse par avance auprès des enseignants combiers qui subissent des conséquences injustes.

Par Carmen Mora