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«La reprise sera longue et compliquée»

Président de la Société Industrielle et commerciale (SIC), Bill Muirhead a pour principal souci de limiter la casse avec tous les acteurs publics, parapublics et les représentants de l’économie.

Président de la Société Industrielle et commerciale (SIC), Bill Muirhead a pour principal souci de limiter la casse avec tous les acteurs publics, parapublics et les représentants de l’économie. A ses yeux, la crise pourrait aussi être l’opportunité d’une diversification de l’économie combière à terme. Interview.

Bill Muirhead, comment allez-vous?

Pfff… On est dans la sixième semaine de confinement, cela commence à devenir long. Cela fera trois mois complets quand les cafés et restaurants rouvriront – et encore si tout va bien. Pour quelqu’un comme moi qui aime sortir et voir du monde, c’est pas tous les jours Noël.

Un mot sur l’action «bons cadeaux» à laquelle vous avez contribué?

Quand on voit un tel succès, la volonté des gens de La Vallée d’aider, cela fait chaud au cœur. Trouver des solutions ensemble, c’est une des forces des Combiers et l’on aura encore davantage besoin les uns des autres à l’avenir. Chaque petite chose compte et je remercie vivement les sponsors de cette initiative (JLC, Crédit Mutuel, FAVJ, Fondation PEP)! Bon, l’aspect solidaire est super, super important, mais à la fin, il faut que nos grandes marques horlogères reprennent leur activité.

Nous allons y venir dans un instant, j’imagine, aux grandes marques. Encore une question préliminaire: comment se portent vos sociétés, rassemblées dans le Groupe Risoud?

Nous sommes impactés, comme tout le monde. L’activité fiduciaire est très sollicitée, actuellement, comme chaque printemps, c’est notre période la plus chargée, compliquée encore plus cette année avec les mesures de chômage partiel et les crédits transitoires. L’enjeu est de bien conseiller nos clients pour gérer la reprise. Car si le marché ne repart pas, même avec toutes les aides de l’Etat, les sociétés auront des dettes supplémentaires au bilan, c’est tout. Si la reprise prend trop longtemps, forcément, il y aura de la casse. Cela va être difficile pour eux et difficile pour nous.

Autre activité, notre société de conseil en ingénierie, actuellement réduite à 20%. Notre fonds de commerce étant l’innovation, même des grands groupes qui ont des moyens importants ont gelé beaucoup de projets de Recherche et Développement. Si tout se passe bien, peut-être cela devrait reprendre à l’automne.

Dans le med-tech, les tests cliniques de nouvelles technologies ont été stoppés pour cause de Covid-19. Le temps de redémarrer les tests avec des groupes de patients va prendre des mois et des mois. Les grands groupes qui étaient en train de travailler sur 6-7 nouveaux projets de traitements vont en prioriser un ou deux cette année et repousser les autres à l’an prochain. 

Quelle analyse faites-vous de la crise actuelle pour notre économie combière?

Nous avons ici un secteur magnifique, l’horlogerie de haut de gamme, qui a été relativement épargnée ces dernières années… Depuis une quinzaine d’années, ce sont les Chinois principalement qui achètent beaucoup de nos montres; ils ont été le facteur numéro un dans le soutien à notre horlogerie locale et à sa croissance, mais tout ça, c’était «avant». Je ne pense pas qu’on reverra beaucoup de groupes de Chinois dans notre région, ni à Lucerne ou Interlaken cette année, pas plus qu’à Londres ou Paris.

Bon, il y aussi de bons côtés à cette crise: 80% des points de vente dans le monde ont fermé tour à tour, les stocks de montres ont baissé, parce qu’on vendait et il y a eu besoin de redémarrer la production pour refaire les stocks. Mais maintenant? Une importante baisse des commandes de montres me semble inévitable pour 2020.

Et comme la Vallée de Joux connaît une situation de quasi-mono-industrie, toute l’économie locale en sera impactée: le secteur de la restauration, du tourisme et des transports, les manifestations, car tout est lié.

On le voit ces jours, les gens montent à La Vallée avec leurs véhicules, leurs sacs à dos et leurs propres sandwiches. Economiquement, cela n’amène rien, sinon une image de jolie région à visiter. Sans retombées pour la région.

Mais la grande question, dans tout ça, c’est l’«après», à moyen et à long terme.

Justement, vous risquez-vous à des pronostics pour la fin de cette année et l’an prochain?

Si on trouve un vaccin, il pourrait y avoir un boom économique. Mais autrement, nous restons dans une crise sanitaire avec une perspective de reprise très longue.

Tenez: on avait l’espoir, il y a deux semaines, que les marchés asiatiques repartent. Singapour a rouvert, des gens de l’extérieur ont ramené le Covid-19 et voilà, les autorités ont tout fermé à nouveau pour quatre semaines. Plus une montre n’y entre, seulement des biens de première nécessité.

Donc le défi pour nos autorités est de déconfiner, de permettre un redémarrage de l’économie sans risquer une nouvelle flambée, auquel cas on repartirait à zéro. Notre Ministre Alain Berset l’a dit: «Aussi vite que possible, mais aussi lentement que nécessaire» – il y a une ligne de crête très fine à trouver.

Je parlais vendredi dernier avec un scientifique actif dans les technologies médicales. Un effort colossal est mené actuellement pour trouver un vaccin et on espère tous l’avoir d’ici la fin de l’année prochaine. Mais ce dernier me rappelait que c’est la troisième fois en moins de vingt ans que les coronavirus (Sars-Cov) retiennent l’attention et que les dernières tentatives de trouver un vaccin ont duré plusieurs années au début, sans succès. Il y a donc un scénario défavorable de deuxième, de troisième vague du virus qui revienne chaque année.

Les touristes sont le poumon de l’horlogerie, en tout cas, ils l’étaient jusqu’à peu. Et si ceux-ci ne veulent plus voyager d’un endroit chic du monde à l’autre ou ne le peuvent plus, le marché se réduira d’autant. Peut-être que la question de l’avenir de certaines boutiques horlogères se pose aussi; elles devront alors se réinventer. J’imagine qu’une partie de la clientèle ne voudra plus y aller, par peur.

Il y a de grandes questions sur la reprise: quand, comment? Je pense pour 2020 à un scénario extrêmement difficile pour nous tous et qu’il faudra du temps pour remonter la pente. En même temps, il faut trouver des solutions et être positifs…

Avez-vous des exemples de solutions concrètes et porteuses?

Le commerce en ligne pour la haute horlogerie en est un exemple. Il était marginal jusqu’ici. La question s’est affirmée l’an dernier avec certaines marques qui cherchaient une relation plus directe avec leurs clients. Très clairement, la crise actuelle va accélérer ces changements de modèle de vente. Notre façon de travailler aussi va changer; le télétravail, auquel l’économie helvétique a toujours été réticente, eh bien, on a démontré que c’était possible ces dernières semaines!

Comment voyez-vous la responsabilité de la SIC dans un temps comme celui que nous traversons?

La question qui m’habite est de savoir comment nous allons accompagner la reprise. Je l’ai déjà dit, je crains qu’elle soit plus longue qu’on ne le pense. Maintenant, je pense que ce sont les grandes marques qui sont le mieux à même de donner la vision, dès qu’ils le pourront. Forcément, cela aura un impact pour les sous-traitants ensuite pour les commerces, restaurants, etc.

Certains acteurs économiques vont sortir beaucoup plus forts de cette crise et d’autres vont disparaître. Et là, je m’interroge aussi: comment être moteurs pour faire progresser la diversification? A plusieurs reprises par le passé, quand le secteur horloger connaissait une contraction, la diversification de l’économie combière est chaque fois revenue sur la table.

Avez-vous à l’esprit un ou des domaine(s) particulier(s)?

Bien sûr! Tout le med-tech, les technologies médicales. Cela fait vingt ans que j’en parle et je suis encore plus convaincu désormais. La santé est de toutes les conversations, ces jours. Or en termes de micromécanique et microtechnique, à La Vallée, on est «world class» – classe mondiale.

J’aime citer l’exemple de Medtronic, basée à Tolochenaz. Quand ils se sont implantés il y a une vingtaine d’années, ils étaient fort intéressés à la proximité avec la haute horlogerie combière et spécifiquement ses horlogers, qui seuls avaient un souci suffisant de la qualité et de la durabilité des produits – voyez, un pacemaker ne peut pas s’arrêter! Bon, c’était les pacemakers d’il y a une génération, mais j’ai gardé cette leçon-là.

Plusieurs indépendants ou sous-traitants sont venus me trouver ces derniers mois et années en me demandant comment ils pouvaient se diversifier dans le med-tech. C’est une domaine qui a connu une croissance impressionnante en vingt ans en Suisse Romande.

Merci Bill Muirhead pour ce long interview. Un mot de conclusion?

Malgré tout ce que nous venons d’évoquer, en tant que président du FC Vallée de Joux, je me soucie profondément du tournoi de foot à six, les 20-21 juin, douze jours après la levée des interdictions fédérales sur les rassemblements! Autant dire que je me prépare à une annulation… S’il y a une lueur d’espoir, ce serait sous un format réduit au samedi et pour les gamins, seulement. Mais ça, c’est le Conseil fédéral qui décidera en temps voulu.

Et que dire du X-Terra, du Cross et du slowUp qui suivront ensuite? Ce sont de grosses manifestations, on ne peut les relancer une ou deux semaines avant l’échéance. Et la fête du Vacherin en septembre, dans mon village? Nous sommes aussi inquiets. Sans vaccin, aucune manifestation… Je ne suis pas sûr que le public soit prêt à prendre le risque.

Mais je tiens à terminer sur une note positive. La crise, c’est toujours des opportunités. Chacun, à son niveau, doit se poser les questions suivantes: qu’est-ce qu’on peut apprendre, quelles sont les opportunités, que peut-on faire différemment? Et comment peut-on tous s’entraider entre Combiers!

Par Carmen Mora et Joël Reymond